I
Couronne et rois de France sont aujourd’hui plus gaillards, plus riche
et plus puissant qu’ils ne le furent jamais pour les raisons ci-dessous.
D’abord, la couronne étant héréditaire par droit du sang, s’est enrichie, car chaque fois qu’un roi meurt
sans enfant mâle ou sans aucun parent qui puisse lui succéder dans son patrimoine, ses biens et propriétés sont réunis à la
couronne. Bien des rois s’étant trouvés dans ce cas, la couronne s’est ainsi enrichie d’un grand nombre
de domaines, tels que le duché d’Anjou ; c’est même ce qui va arriver sous le roi actuel, qui faute d’enfant
mâle, va laisser à la couronne les duchés d’Orléans et de Milan : de la sorte les meilleures terres de France n’appartiennent
plus en particulier à des barons, mais au domaine royal.
Il y a autre raison, très forte, de la grandeur du Roi : le Royaume se trouvait autrefois partagé entre de puissants barons
qui n’hésitaient pas à s’engager dans des guerres contre leur suzerain, comme firent les ducs de Guyenne et de
Bourbon ; ils sont tous aujourd’hui parfaitement soumis à son autorité qui s’en est trouvée renforcée.
Il y a une autre raison : aucun des voisins de la France n’hésitait auparavant à attaquer le Royaume. Et ceci parce
qu’ils trouvaient toujours un duc de Bretagne, un duc de Guyenne ou bien de Bourgogne ou bien de Flandre pour lui faire
la courte échelle, lui en ouvrir la porte ou lui offrir asile ; c’est ainsi que cela se passait lorsque les Anglais
guerroyaient avec la France et lui donnaient grand mal grâce à l’entremise du duc de Bretagne ; et de même, le duc de
Bourgogne par l’entremise d’un duc de Bourbon. A cette heure, la Bretagne, la Guyenne, le Bourbonnais et la plus
grande partie de la Bourgogne étant parfaitement soumis à la France, non seulement les souverains ennemis sont privés de ce
moyen de troubler le Royaume, mais ils trouvent devant eux ces barons pour ennemis ; et le Roi de son côté, grâce à leurs
provinces, se trouve plus puissant et ses ennemis plus faibles.
Il y a encore une autre raison : les barons les plus riches et les plus puissants sont de sang royal et de même lignée, en
sorte que les héritiers les plus proches venant à manquer, la couronne peut leur échoir. Dès lors chacun d’eux soutient
le trône, dans l’espoir que lui-même ou l’un de ses enfants pourra y monter un jour, et dans la crainte qu’en
geste de rébellion ou d’inimitié ne leur fasse du tort. Le Roi régnant a failli en faire l’épreuve quand il fut
fait prisonnier au cours de la guerre de Bretagne où il avait pris parti pour le duc contre les Français : à la mort de Charles,
on disputa fort si sa rebellion et défection à la couronne ne lui avaient pas fait perdre ses droits. Mais les richesses
qu’il avait accumulées lui permirent de faire largesse ; en outre, il se trouva que, à défaut de lui, le successeur
le plus proche, le duc d’Angoulême, n’était qu’un enfant encore : c’est à ces raisons, et aussi à
la faveur dont il jouissait, qu’il dut d’être tout de même roi.
La dernière raison est celle-ci : les fiefs des grands barons de France ne se partagent pas entre leurs héritiers, ainsi qu’en
Allemagne et en plusieurs parties de l’Italie, mais ils échoient toujours aux aînés qui sont les seuls héritiers ; les
autres frères prennent patience, et secondés par leur aîné se consacrent entièrement aux armes, et s’évertuent par ce
métier à se mettre en mesure de se tailler eux-mêmes un État et ils vivent dans cette espérance. Il s’ensuit de là
que les hommes d’armes français sont aujourd’hui les meilleurs qui soient, car ils sont tous nobles et fils de
grands seigneurs, en mesure de parvenir à la même grandeur.
L’infanterie qu’on lève en France ne peut être excellente, car il y a longtemps qu’elle n’a pas fait
la guerre : elle n’en a donc aucune expérience. De plus, le reste de la population, roture et gens de métier, est tellement
asservie à la noblesse et bridée en toute chose qu’elle en est avilie. Aussi le Roi ne se sert-il pas de ces fantassins
en temps de guerre, à part les Gascons, qui sont un peu meilleur que les autres : ceci vient de ce qu’ils sont proches
des Espagnols et tiennent un peu d’eux. Ils se sont pourtant montrés, à ce qu’on a constaté depuis quelques années,
meilleurs maîtres larrons que maîtres guerriers. Forts bon soldats pour défendre ou assaillir les places, ils sont moins
bons en bataille rangée, à l’opposé des Allemands et des Suisses, qui sont sans pareils sur les champ de bataille, mais
de peu de valeur dans la défense ou l’attaque de villes fortes : je crois que cela vient de ce qu’ils ne peuvent
pas y garder les formations auxquelles ils sont habitués sur le champ de manœuvre. Aussi le Roi se sert-il toujours
de Suisses ou de lansquenets, ses chevaliers se méfiant des Gascons pour aborder l’ennemi. Si son infanterie avait
la même valeur que sa cavalerie, le Roi pourrait tenir tête à n’importe lequel des autres souverains.
II
Les Français sont par nature plus impétueux au combat que résistants ou manœuvriers, et s’ils rencontrent un adversaire
qui puisse supporter la furie de leur premier choc, ils perdent leur mordant et se découragent si bien qu’ils sont alors
aussi lâches que femmes. Ils endurent aussi fort mal les fatigues et le manque de confort, et à la longue ils se relâchent
de la discipline, de sorte qu’il est aisé, si on les surprend dans ce désordre, de triompher d’eux. On en a vu
maints exemples durant la guerre dans le royaume de Naples, et récemment sur le Garigliano, où ils étaient pourtant deux fois
plus nombreux que les Espagnols et où l’on pensait qu’ils les avaleraient d’une bouchée ; mais l’hiver
survenant et les pluies faisant rage, ils se débandèrent peu à peu et, l’un après l’autre, s’en furent chercher
dans les bourgades avoisinantes un logis plus confortable, laissant leur camp dégarni et désorganisé, si bien que contre toute
attente les Espagnols furent vainqueurs. Il en eût été de même pour les Vénitiens, qui n’auraient pas perdu la bataille
d’Agnadel s’ils s’étaient contentés de harceler les Français durant dix jours ; mais l’emportement
de Bartolomeo d’Alviano rencontra un emportement plus grand encore. De même à Ravenne, où les Espagnols, s’ils
n’avaient pas offert le combat aux Français, les auraient désorganisés par suite de la fâcheuse distribution du ravitaillement
ou même de son manque total, Venise pouvant les couper de Ferrare et les Espagnols du côté de Bologne. Mais l’étourderie
du premier, l’imprudence des autres, valurent aux Français la victoire, chèrement payée il est vrai. Et le carnage
eût été encore plus grand, si les forces principales des deux adversaires avaient été de la même espèce. Mais l’armée
française était forte de sa cavalerie, et l’espagnole de son infanterie. Bref, que celui qui voudra triompher des Français
se garde de leur premier choc : s’il sait les amuser, pour les raisons que j’ai dites, il en triomphera. C’est
pourquoi Jules César a dit que les Français, au prime abord, étaient plus que des hommes, mais pour finir, moins que des femmes.
III
La France, grâce à son étendu et à l’avantage de ses grandes rivières,
est grasse et opulente, les denrées et la main-d’œuvre y sont bon marché, sinon pour rien, à cause du peu d’argent
qui circule parmi le peuple : c’est à peine si les sujets peuvent amasser de quoi payer leurs redevances à leur seigneur,
si minces qu’elles soient.
Cela provient de ce qu’ils ne savent pas où écouler leurs produits, tout le monde en ayant à revendre : on ne trouverait
pas un coin où quelqu’un pût vendre un seul muid de blé, chacun en ayant lui-même à vendre. Et les gentilshommes eux-mêmes,
en dehors de ce qu’ils déboursent pour se vêtir, ne dépensent rien, ayant à leur gré chez eux, bétail en quantité, volaille
à foison, lacs et autres lieux regorgeant de gibier de toute sorte, et il en est ainsi pour tous et partout. De sorte que
l’argent afflue tout entier chez les seigneurs qui sont richissimes, tandis que les gens du peuple croient l’être
quand ils ont un florin.
Les prélats de France perçoivent deux cinquièmes des rentes et revenus de ce Royaume qui contient force évêchés à la fois
temporels et spirituel ; comme il sont largement fournis de nourriture, tout ce qui parvient entre leurs mains de dîmes en
autre argent n’en ressort jamais, conformément à l’avarice connue des religieux ; tout ce qui en parvient dans
les chapitres et autres collèges ecclésiastique est dépensé en objets d’argent, joyaux et autres richesses pour l’ornement
des églises ; de sorte qu’entre les richesses propres des églises et les richesses particulières des prélats en monnaies
et métaux précieux, le tout forme un trésor incalculable.
Dans les conseils et délibérations de la couronne et du Royaume, ce sont toujours les prélats qui interviennent en plus grand
nombre : les autres seigneurs s’en désintéressent car ils savent que c’est eux qui exécuteront les décisions.
De la sorte, tout le monde est content, les uns d’ordonner, les autres d’exécuter ; à ces débats cependant interviennent
quelques hommes de guerre âgés, car quand il s’agit de débattre des questions de guerre, ils peuvent ainsi informer
les prélats qui n’en ont pas l’expérience.
En France, en vertu d’une certaine pragmatique obtenue il y a longtemps de la papauté, les bénéfices sont conférés par
les collèges français ; les chanoines, à la mort de leur archevêque ou de leur évêque, se réunissent pour attribuer le bénéfice
vacant à celui d’entre eux qu’ils croient le mériter. Ceci engendre de fréquentes dissensions, car il y a toujours
des candidats qui briguent à force d’argent, et d’autres par leurs vertus et leurs bonnes œuvres. Les moines
élisent pareillement leurs abbés. Les autres petits bénéfices sont conférés par les évêques dans leur juridiction. Chaque
fois que le Roi veut déroger à cette pragmatique pour mettre une de ses créatures dans un évêché, il faut qu’il emploie
la manière forte pour triompher de la résistance ; mais les ecclésiastiques ainsi forcés ont coutume, dès que le roi est mort,
de déposséder le prélat de sa charge pour la restituer à leur élu.
IV
Les Français sont par nature friands du bien d’autrui, et à la fois fort
prodigues tant du leur que de celui des autres. Un Français serait capable de voler avec le nez, pour se régaler d’un
objet volé, ou de le gâcher, ou d’en régaler celui à qui il l’a volé. A l’opposé des Espagnols : vous ne
verrez jamais rien de ce que ces gens-là vous ont volé.
La France craint fort les Anglais à cause des grandes incursions et ravages qu’ils ont faits jadis dans le Royaume ;
le seul nom d’Anglais est un objet de terreur pour la population, que ne se rend pas compte que la France d’aujourd’hui
est dans une tout autre condition que celle d’autrefois, parce qu’elle est armée, expérimentée et unie, et qu’elle
possède les provinces dont les Anglais faisaient leur tremplin, comme le duché de Bretagne et celui de Bourgogne, alors que
les Anglais tout à l’encontre n’ont plus de discipline, car il y a si longtemps qu’ils n’ont pas fait
la guerre que nul d’entre eux aujourd’hui n’a jamais vu un ennemi en face ; en outre, à l’exception
de l’archiduc, nul étranger n’a jamais abordés leurs rivages. Elle aurait fort à craindre des Espagnols, sagaces
et vigilants comme ils le sont. Mais au cas où leur roi voudrait attaquer la France, la chose lui serait très malaisée :
de son point de départ jusqu’aux débouchés des Pyrénées sur le Royaume, la route est si longue et si stérile que ses
troupes y parviendraient en piètre condition, entre autres raisons à cause de son ravitaillement, la région qu’il laisserait
derrière lui est presque inhabitée tant elle est stérile, et les rares habitants qu’elle a ont à peine de quoi vivre
eux-mêmes. Voilà pourquoi les Français ont peu de chose à craindre des Espagnols du côté des Pyrénées.
Ils ne craignent pas non plus les flamands ; cela vient de ce que les Flamands, habitant un pays trop froid, n’y récolte
pas de quoi vivre, surtout en blé et en vin, denrées qu’il leur faut tirer de la Bourgogne, de la Picardie et d’autres
provinces de France. De plus, les populations flamandes vivent de manufactures, et ce sont les grandes foire de France, Lyon
et Paris, qui sont leur débouchés ; ils ne peuvent en envisager ni du côté de la mer ni moins encore du côté de l’Allemagne
que en a et fabrique de la marchandise plus qu’eux. Aussi, faute de débouchés commerciaux de la France, non seulement
ils seraient privés de leur ravitaillement alimentaire, mais ils perdraient encore les marchés de leur travail. C’est
pourquoi les Flamands, à moins qu’on ne les force, ne feront jamais la guerre aux Français.
La France a fort à craindre des Suisses, à cause de leur proximité. Et de la soudaineté de leurs attaques, auxquelles leur
rapidité de mouvements ne permet pas de parer. Ces attaques sont plutôt des incursions et des razzias que des invasions,
car faute d’artillerie et de cavalerie, et paralysés par les forteresses françaises bien garnies de la frontière, ils
ne peuvent s’avancer profondément. En outre, les troupes suisses sont plus propres à la bataille rangée qu’au
siège ou à la défense des villes ; de leur côté, les Français n’aiment guère se mesurer avec eux : ils n’ont pas
d’infanterie qui puisse leur tenir tête, et leur cavalerie ne peut guère l’emporter sans l’infanterie.
La région elle-même est de telle nature que les lances et les gens à cheval y manoeuvrent malaisément; les Suisses aussi s’éloignent
peu volontiers de leurs montagnes pour descendre dans la plaine étrangère, en laissant derrière eux comme je l’ai dit
des places fortes bien défendues : ils redoutent avec raison qu’en cas d’échec ils ne se voient coupés et de leur
ravitaillement et de leur retraite.
Les Français n’ont pas à craindre du côté qui regarde l’Italie, grâce aux monts Apennins et aux puissantes forteresses
qui sont au pied de ces montagnes et qui arrêteraient un temps quiconque voudrait attaquer le Royaume : l’agresseur
ayant derrière lui une région tellement stérile, il lui faudrait soit commettre la folie de laisser derrière lui ces forteresses,
soit les prendre par la famine ou par l’assaut. Enfin il n’existe pas en Italie de prince assez puissant pour
les attaquer, l’Italie n’ayant pas l’unité qu’elle avait du temps des Romains. Telles sont les raisons
pour lesquelles ils ne craignent rien de ce côté-là.
Le Royaume de France ne craint rien non plus du côté du midi qui est tout en côtés, avec des ports toujours pleins de nombreux
bateaux appartenant au Roi ou à des particuliers, qui protègent toute cette région contre une offensive inopinée ; quant à
une offensive préméditée, on a le temps d’y porter remède pour la raison qu’il faut du temps aussi à celui qui
entend la préparer, la mettre bien a point, et c’est alors le secret de tout le monde. Les Roi entretient d’ailleurs
sur ces côtes de bonnes garnisons pour ne pas être pris au dépourvu.
La parfaite soumission de son peuple permet au Roi de dépenser fort peu pour ses forteresses : il n’a pas à se garder
de ses sujets ; quant à celles de ses frontières qui exigeraient une forte dépense, il s’en trouve dispensé parce qu’il
y fait stationner ses gens d’armes ; quant à une attaque de grande envergure, il a le temps d’y remédier pour
la bonne raison qu’il faut à l’agresseur le temps de la préparer et de la conduire.
V
Les populations de la France sont humbles et fort soumises, elles tiennent leur
Roi en grande vénération. Elles vivent à fort peu de frais, grâce à l’abondance des denrées, et aussi parce que chacun
a quelque petite propriété à lui. Elles s’habillent grossièrement, d’étoffes à bon marché, sans faire jamais
usage d’aucune espèce de soie, ni les hommes ni les femmes pour ne pas se faire remarquer par les nobles.
Les évêchés du Royaume, d’après le relevé actuel, sont au nombre de cent six y compris dix-huit archevêchés.
Les paroisses sont au nombre de mille sept cents y compris sept cent quarante abbayes, non compté les prieurés.
Je n’ai pu arriver à savoir les revenus ordinaires ni extraordinaires de la couronne. J’ai questionné bien des
gens et l’on m’a toujours répondu qu’ils sont ce qu’il plaît au Roi. Certains toutefois m’ont
dit qu’une partie de l’ordinaire, à savoir celui qu’on appelle le denier prêté du Roi et qui est
le produit de gabelles telles que le pain, le vin, la viande et autres denrées, est de un million sept cent mille écus ; le
roi perçoit ses revenus extraordinaires au moyen de tailles comme c’est son bon plaisir, tantôt lourdes, tantôt légères.
Si elles ne suffisent pas, il emprunte des écus qui sont rarement rendus, ceux-ci sont requis par lettres royales ainsi conçues
: « Le Roi notre seigneur se recommande à vous et comme il a faute d’argent, il vous prie de lui prêter la somme que
contient la lettre. » Et la somme est payée entre les mains du receveur de l’endroit, car il en est un dans chacun des
bourgs; il perçoit toutes les redevances, tant celles des gabelles que celles des tailles et des emprunts.
Les terres soumises à la couronne n’ont d’autre loi commune que celle que le Roi leur impose ainsi pour faire
rentrer l’argent et payer les redevances susdites.
L’autorité des barons sur leurs vassaux est entière. Leur revenu consiste en pain, vin, viande, comme j’ai dit
ci-dessus, et à tant par foyer et par an, mais ce tant ne dépasse pas six à huit sous par foyer par trimestres. Ils n’ont
pas le droit de lever des tailles ou des emprunts sans le consentement du Roi ; et celui-ci y consent rarement.
La couronne ne perçoit d’eux aucun autre avantage que le revenu du sel ; elle ne leur impose jamais de tailles, si ce
n’est dans les nécessités extraordinaires.
En ce qui concerne les dépenses extraordinaires, entre autres la guerre, le Roi procède ainsi : il commande aux trésoriers
de payer les soldats, et ceux-ci les font régler par l’intermédiaire de leurs capitaines. Les pensionnés et gentilshommes
se font donner par les généraux (du trésor) la décharge, c'est-à-dire la quittance de leur paye, de mois en mois, et, chaque
trimestre, ils s’en vont chez le receveur de la province qu’ils habitent, lequel les règle aussitôt.
Les gentilshommes du Roi sont au nombre de deux cents et leur solde est de vingt écus par mois, payables ut supra ;
chaque centaine a son chef qui d’ordinaire était Ravel et Vidames (sic).
Le chiffre des pensionnés n’est pas fixé, pas plus que celui de leur pension, qui est petite ou grosse, au bon plaisir
du Roi ; ils vivent dans l’espoir de la voir augmentée, mais ceci non plus n’est pas déterminé.
La charge des (fermiers) généraux de France, qui perçoivent tant par feu et par taille avec la permission du Roi, consiste
à veiller à ce que les dépenses, tant ordinaires qu’extraordinaires, soient réglées en temps voulu, et au vu des décharges
susdites.
Celle des trésoriers est de tenir l’argent en caisse et de régler sur l’ordre et la décharge des généraux.
Celle du Grand Chancelier est un pouvoir absolu : il peut gracier et condamner à son gré, etiam in capitalibus, sine consensu
regis. Il peut faire reviser le cas de contumaces ; mais il lui faut l’assentiment du Roi pour attribuer les bénéfices
; c’est le Roi qui fait grâce par lettres royales scellées du grand sceau royal, mais c’est lui qui détient ledit
grand sceau. Son traitement est de dix mille francs par an, et en outre deux mille pour tenir table. Tenir table consiste
à donner dîner et à souper à tout le train d’avocats et de gentilshommes qui suivent le Grand Chancelier, chaque fois
qu’il leur plaît de manger avec lui, ce qui est fort en usage.
La pension que le roi de France payait au roi d’Angleterre était de cinquante mille francs par an, pour acquitter certaines
dépenses faites par le père du roi anglais actuel dans le duché de Bretagne ; elle est éteinte et on ne la paye plus.
Il n’y a actuellement en France qu’un seul grand Sénéchal ; quand il y a plusieurs sénéchaux, - je ne parle pas
de grands sénéchaux, puisqu’il n’y en a qu’un – leur charge est de surveiller les gens d’armes
ordinaires et extraordinaires, qui leur doivent l’obéissance.
Il y a autant de gouverneurs de province qu’il plait au Roi d’en nommer et il les paie comme il lui plaît ; il
les nomme pour un an ou à vie, selon son bon plaisir ; les autres gouverneurs, même ceux des plus petites villes, sont aussi
nommés par lui. Remarquez que toutes les charges du royaume sont données ou vendues par le Roi, et par nul autre.
On procède ainsi aux états : chaque année, en août, ou en octobre, ou bien en janvier, à la volonté du Roi, les généraux rapportent
le montant des rentrées et des sorties d’argent, et l’on détermine les rentrées d’après les sorties ; l’on
augmente le chiffre des pensions et des pensionnés, ou on le diminue, comme le Roi le commande.
Il n’y a pas de chiffre déterminé pour l’attribution des titres de noblesse ou des pensions ; la Chambre des Comptes
n’a pas à approuver, la volonté du Roi suffit.
Le rôle de la Chambre des Comptes est de revoir les comptes de tous ceux qui administrent l’argent de la couronne, généraux,
trésoriers, receveurs.
L’Université de Paris subsiste avec les rentrées des fondations de collèges, mais elle en vit maigrement.
Les Parlements sont au nombre de cinq : Paris, Rouen, Toulouse, Bordeaux et Dauphiné ; on ne peut en appeler d’aucun
d’eux.
Les premières Universités sont quatre : Paris, Orléans, Bourges et Poitiers ; ensuite viennent Tours et Angers, mais elles
valent peu.
Les garnisons sont stationnées où veut le Roi, et, tant artillerie que soldats, aussi nombreuses qu’il lui plaît. Néanmoins
toutes les places ont quelques pièces d’artillerie avec leurs munitions ; et depuis deux ans on en fait un grand nombre
en bien des lieux du royaume au frais des villes où on les a faites, en augmentant la taille d’un denier par bête ou
par mesure. Ordinairement, lorsque le Roi n’a rien à craindre de personne, il y a quatre garnisons, à savoir en Guyenne,
en Picardie, en Bourgogne et en Provence ; on les déplace et on les renforce tantôt ici et tantôt là, selon les méfiances.
J’ai fait diligence pour savoir ce que le Roi peut dépenser par an tant pour sa personne que pour sa maison, et j’ai
su qu’il peut dépenser autant qu’il en demande.
Les Archers destinés à la garde du Roi sont au nombre de quatre cents, dont cent Écossais; ils touchent chacun trois cents
francs par an et une saie aux couleurs du Roi. Les gardes du corps, ceux qui sont toujours auprès du Roi, sont vingt-quatre,
et touchent chacun quatre cents francs par an. Leur capitaine est Monseigneur Dubegni Cursores et le capitaine Gabriello.
La garde à pied est faite d’Allemands; cent d’entre eux touchent douze francs par mois; on en a eu jusqu'à trois
cents, qui touchaient chacun dix francs, ainsi que deux uniformes par an, un d’été, l’autre d’hiver, pourpoint
et chausses à la livrée du Roi; ceux des cents-gardes avaient pourpoint de soie au temps de Charles.
Fourriers sont gens préposés au logement de la cour; ils sont trente-deux, ont trois cents francs l’an et une saie aux
couleurs du Roi. Ils ont quatre Maréchaux, qui touchent chacun six cents francs. Ils se répartissent ainsi le logement :
un quart d’entre eux demeure, avec un Maréchal ou, s’il est absent, avec son lieutenant, dans le lieu que vient
de quitter la cour, afin de donner leur dû aux logeurs; un quart accompagne la personne du Roi, tandis qu’un autre le
devance au lieu où il doit arriver ce jour-là; le dernier quart se rend sur les lieux où on logera le lendemain. Tout cela
dans un ordre admirable, et chacun dès l’arrivé trouve son logis, jusqu’aux courtisanes.
Le Prévôt de l’hôtel est un personnage qui suit partout le Roi; sa charge est un vraie puissance : partout où se rend
la cour, son tribunal fait loi, et les gens du lieu peuvent porter plainte auprès de lui, comme auprès de son propre lieutenant.
Ceux qui sont conduits devant lui pour affaires criminelles ne peuvent en appeler au parlement. Son traitement est généralement
de six mille francs. Il a avec lui deux juges pour les affaires civiles, payés six cents francs l’an par le Roi, et
un lieutenant criminel à la tête de trente archers payés comme ceux de la garde. Il connaît les affaires civiles aussi bien
que les criminelles et une seule confrontation du plaignant avec l’accusé suffit à dépêcher la cause.
Les maîtres d’hôtel du Roi sont au nombre de huit, sans salaire bien déterminé, les uns ayant mille francs, les autres
moins, comme il plaît au Roi. Le grand maître qui a succédé à monseigneur de Chaumont est monseigneur de la Palisse, dont
le père exerça aussi cette charge : il touche deux mille francs et il a le pas sur les autres maîtres d’hôtel.
Le grand amiral de France commende toute la marine et tous les ports du Royaume. Il peut disposer à son gré des vaisseaux
de la flotte. C’est actuellement Prégent (de Bridoux), au traitement de dix mille francs par an.
Le nombre des chevaliers de l’ordre du Roi n’est pas fixe, le Roi en crée autant qu’il veut. A leur réception,
ils s’engagent par serment à défendre la couronne, à ne jamais porter les armes contre elle, et ne peuvent de leur vivant
être dépossédés de leur titre. Certains ont quatre mille francs de pension, d’autres moins, et cet honneur n’est
pas conféré au premier venu.
La charge des Chambellans consiste à faire la conversation avec le Roi, à accéder à sa chambre, et à le conseiller; ils passent
pour les premiers personnages du Royaume. Ils ont une pension élevée, six, huit, dix, onze mille francs ou rien du tout parfois,
le Roi donnant souvent ce titre à ceux qu’il veut honorer, et même à des étrangers. Mais ils ont le privilège de na
pas payer de gabelles, et ils sont nourris à la cour à la table des Chambellans, qui est la première après celle du Roi.
Le grand écuyer ne quitte pas la personne du Roi. Sa charge le met à la tête des douze écuyers royaux, comme le grand sénéchal,
le grand maréchal et le grand maître d’hôtel sont à la tête de leurs gens; il s’occupe de chevaux de Sa Majesté,
de la mettre en selle, de l’aider à en descendre, il veille à tout le harnois et porte son épée devant lui.
Les membres du Conseil royal ont tous une pension qui va, selon que veut le Roi, de six à huit mille francs; ce sont monseigneur
de Paris, monseigneur de Beauvais, le bailli d’Amiens, monseigneur de Bucy et le grand chancelier; en réalité, ce sont
Robertet et monseigneur de Paris qui gouvernent tout.
Depuis la mort du cardinal de Rouen, on ne tient plus table ouverte pour personne. Le grand chancelier n’ayant pas
été remplacé, c’est (monseigneur de) Paris qui remplit sa charge.
VI
Les droits que le Roi de France allègue sur le duché de Milan remontent à son
aïeul, qui épousa une fille du duc (Visconti), qui mourut sans enfants mâles. Le duc Jean-Galéas eut deux filles et je ne
sais combien de garçons. L’une de ses filles, du nom de Valentine, fut mariée au duc Ludovic (sic) d’Orléans,
aïeul de ce Roi Louis, de la ligné de Pépin. A la mort de Jean-Galéas, son frère Philippe (Marie) lui succéda et mourut à
son tour sans héritiers légitimes, mais laissant une bâtarde. Son trône fut ensuite usurpé par les Sforza, sans nuls droits,
a-t-on dit : en effet, les prétendants assurent que le duché doit retourner aux descendant de Madame Valentine. Et depuis
le jour où les Orléans se sont alliés aux Visconti, ils ont joint aux trois lis de leur blason une couleuvre qu’on peut
y voir encore.
Dans chaque paroisse de France, il y a un homme bien payé par la commune, qu’on nomme le franc archer ; il est
tenu d’avoir un cheval en bon état, et tout l’armement nécessaire pour répondre à une réquisition du Roi, si ce
dernier doit faire la guerre au-dehors ou autrement. Ils sont tenus de se transporter dans la province attaquées ou menacée.
Vu le chiffre des paroisses, ces francs archers doivent être mille sept cent.
Les fourriers sont tenus de fournir logis à tous ceux qui suivent la cour et les seigneurs sont ordinairement hébergés chez
les plus notables de l’endroit. Pour éviter toute plainte tant du courtisan que de son hôte, la cour a fixé les obligations
de chacun, et elles sont respectées : l’un doit donner un sou par jour, pour la chambre ; l’autre doit fournir
lit et couchette, et changer au moins tout les huit jours; le premier donne aussi deux sous par jour pour les linges,
à savoir nappes, serviettes de table, vinaigre, verjus; l’hôte n’est tenu de changer ces lingi que deux
fois la semaine; mais comme il y en a abondance dans ce pays, on les change autant que vous le demandez. La chambre doit
en outre être nettoyée, balayée et le lit refait. Il faut donner deux deniers par jour par cheval à l’écurie, l’hôte
n’ayant rien à fournir comme fourrage, mais à débarrasser l’écurie du fumier. Il en est beaucoup qui payent moins,
en vertu de leur bonne nature ou de celle de leur hôte, mais telle est la taxe ordinaire de la cour.
Les droits qu’allèguent les Anglais sur le Royaume sont de plus fraîche date : Charles, sixième du nom, donna en mariage
sa fille légitime et naturelle à Henri, fils légitime et naturel du roi d’Angleterre; dans le contrat, outre la dot
convenue, et sans faire mention de Charles VII qui fut depuis roi de France, il institua héritier du trône de France après
sa mort à lui Charles VI, Henri son gendre, époux de Catherine; et, dans les cas où Henri mourrait avant son beau-père, et
laisserait des enfants mâles légitimes et naturels, ceux-ci devaient lui succéder. A l’encontre de quoi les Anglais
disent que ledit Charles VII était le fruit d’un concubinage incestueux.
Il y a deux archevêchés d’Angleterre, vingt-deux évêchés, cinquante-deux mille paroisses.
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