De la Corruption en Occident

Mémoire sur la nécessité de réformer & de perfectionner la nomenclature de la chimie

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lu à l’assemblée publique de l’Académie royale des sciences du 18 avril 1787

par Antoine Laurent de Lavoisier (1787)

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Le travail que nous présentons à l’Académie a été entrepris en commun par M. de Morveau, par M. Berthollet, par M. de Fourcroy & par moi : il est le résultat d’un grand nombre de conférences, dans lesquelles nous avons été aidés des lumières & des conseils d’une partie des géomètres de l’Académie & de plusieurs chimistes.

Longtemps avant que les découvertes modernes eussent donné à la chimie une forme pour ainsi dire nouvelle, les savants qui la cultivaient avaient reconnu la nécessité d’en modifier la nomenclature. M. Macquer et M. Baumé s’en étaient occupés avec beaucoup de succès dans les leçons qu’ils ont données pendant plusieurs années & dans les ouvrages qu’ils ont publiés. C’est à eux qu’on doit principalement d’avoir désigner les sels métalliques par le nom de l’acide & par celui du métal qui entrent dans leur composition; d’avoir classé sous le nom de vitriols tous les sels résultant de la de la dissolution d’une substance métallique par l’acide vitriolique; sous le nom de nitres tous les sels dans lesquels entre l’acide nitreux. Depuis M. Bergman, M. Bucquet & M. de Fourcroy ont étendu plus loin l’application des mêmes principes & la nomenclature de la chimie a acquis, entre leurs mains, des degrés successifs de perfection.

Mais aucun chimiste n’avait conçu un plan d’une aussi vaste étendue que celui dont M. de Morveau a présenté le tableau en 1782. Il avait pris dès lors l’engagement de rédiger la partie chimique de l’Encyclopédie méthodique. Destiné à porter, en quelque façon, la parole, au nom des chimistes français, & dans un ouvrage national, il ne s’était pas dissimulé qu’il ne suffisait pas de créer une langue, qu’il fallait encore qu’elle fût adoptée, & qu’il n’y avait que la convention qui pût fixer la valeur des termes. Il crut donc qu’avant de se livrer à l’entreprise pénible dont il s’était chargé il était nécessaire de pressentir les chimistes français, de développer à leurs yeux les principes généraux qui devaient lui servir de guide, de leur présenter des tableaux de la nomenclature méthodique qu’il se proposait d’adopter, & de leur demander une sorte de consentement au moins tacite. Son mémoire fut publié alors dans le Journal de Physique & il eut la modestie de solliciter, non les suffrages, mais les objections de tous ceux qui cultivaient la chimie.

Quelque près que M. de Morveau eût approché du but dans cette première tentative, il ne l’avait pas encore atteint. Il a bien senti lui-même que, dans une science qui est, en quelque façon, dans un état de mobilité, qui marche à grands pas vers la perfection. Dans laquelle des théories nouvelles se sont élevées, il était d’une extrême difficulté de former une langue qui convînt aux différents systèmes & qui satisfît toutes les opinions sans en adopter exclusivement aucune.

Pour s’affermir dans sa marche, M. de Morveau a désiré de s’appuyer des conseils de quelques-uns des chimistes de l’Académie : il a fait cette année un voyage à Paris dans ce dessein; il a offert le sacrifice de ses propres idées, de son propre travail; & l’amour de la propriété littéraire a cédé chez lui à l’amour de la science. Dans les conférences qui se sont établies, nous avons cherché à nous pénétrer tous du même esprit; nous avons oublié ce qui avait été fait, ce que nous avions fait nous-mêmes, pour ne voir que ce qu’il y avait à faire; & ce n’est qu’après avoir passé plusieurs fois en revue toutes les parties de la chimie, après avoir profondément médité sur la métaphysique des langues, & sur le rapport des idées avec les mots, que nous nous sommes hasardés à former un plan.

Nous parviendrons difficilement à intéresser l’assemblée qui nous écoute, si nous entreprenions d’énoncer & de discuter les mots techniques que nous avons adoptés : ces détails feront l’objet d’un second mémoire, que M. de Morveau s’est chargé de rédiger, & nous le réservons pour nos séances particulières. Nous nous bornerons à entretenir, dans ce moment, l’Académie des vues générales qui nous ont dirigés, de l’espèce de métaphysique qui nous a guidés : les principes une fois posés, il ne nous restera plus qu’à en faire des applications, à présenter des tableaux & à y joindre des explications sommaires. Ces tableaux demeureront exposés, tout le temps qu’il sera jugé nécessaire, dans la salle de l’Académie, afin que chacun puisse en prendre une connaissance approfondie; que nous puissions recueillir des avis & perfectionner notre travail par la discussion.

Les langues n’ont pas seulement pour objet, comme on le croit communément, d’exprimer par des signes des idées et des images, ce sont, de plus, de véritables méthodes analytiques, à l’aide desquelles nous procédons du connu à l’inconnu, & jusqu’à un certain point à la manière des mathématicien : essayons de développer cette idée.

L’algèbre est la méthode analytique par excellence : elle a été imaginée pour faciliter les opérations de l’esprit, pour abréger la marche du raisonnement, pour resserrer, dans un petit nombre de lignes, ce qui aurait exiger un grand nombre de page de discussion; enfin, pour conduire d’une manière plus commode, plus prompte & plus sûre à la solution de questions très compliquées. Mais un instant de réflexion fait aisément apercevoir que l’algèbre est une véritable langue : comme toute les langues, elle a ses signes représentatifs, sa méthode, sa grammaire, s’il est permis de se servir de cette expression : ainsi une méthode analytique est une langue; une langue est une méthode analytique, & ces deux expressions sont, dans une certain sens, synonymes.

Cette vérité a été développée avec infiniment de justesse et de clarté dans la Logique de l’abbé Condillac, ouvrage que les jeunes gens qui se destinent aux sciences ne sauraient trop lire, & dont nous ne pouvons nous dispenser d’emprunter quelque idées. Il y a fait voir comment on pouvait traduire le langage algébrique en langage vulgaire & réciproquement; comment la marche de l’esprit était la même dans les deux cas; comment l’art de raisonner était l’art d’analyser.

Mais si les langues sont de véritables instruments que les hommes se sont formés pour faciliter les opérations de leur esprit, il est important que ces instruments soient les meilleurs qu’il est possible, & c’est travailler véritablement à l’avancement des sciences que de s’attacher à les perfectionner.

C’est surtout pour ceux qui commencent à se livrer à l’étude d’une science, que la perfection de son langage est importante : on en sera convaincu, si l’on veut réfléchir un moment sur la manière dont s’acquièrent nos connaissances.

Dans notre première enfance nos idées viennent de nos besoins; la sensation de nos besoins fait naître l’idée des objets propres à les satisfaire, & insensiblement, par un suite de sensations, d’observations & d’analyse, il se forme une génération successive d’idées, toutes liées les unes aux autres, dont un observateur attentif peut même, jusqu’à un certain point, retrouver le fil & l’enchaînement, & qui constituent l’ensemble de ce que nous savons.

Lorsque nous nous livrons pour la première fois à l’étude d’une science, nous sommes, par rapport à cette science, dans un état très analogue à celui dans lequel sont les enfants, & la marche que nous avons à suivre est précisément celle que suit la nature dans la formation de leurs idées. De même que dans l’enfant, l’idée est une suite, un effet une sensation, que c’est la sensation qui fait naître l’idée, de même aussi, pour celui qui commence à se livrer à l’étude des sciences physiques, les idées ne doivent être qu’une conséquence immédiate d’une expérience ou d’une observation.

Qu’il nous soit permis d’ajouter que celui qui entre dans la carrière des sciences est, par rapport à ces sciences, dans une situation moins avantageuse même que l’enfant qui acquiert ses premières idées. Si celui-ci s’est trompé sur les effets salutaires ou nuisibles des objets qui l’environnent, la nature lui donne des moyens multipliés de se rectifier. À chaque instant le jugement qu’il a porté se trouve redressé par l’expérience. La privation ou la douleur viennent à la suite d’un jugement faux, la jouissance & le plaisir à la suite d’un jugement juste. Avec de tels maîtres on devient bientôt conséquent, & il faut bien s’accoutumer à raisonner juste, quand on ne peut raisonner autrement, sous peine de souffrir.

Il n’en est pas de même dans l’étude & dans la pratique des sciences : les faux jugements que nous portons n’intéressent ni notre existence, ni notre bien-être, aucun intérêt physique ne nous oblige de nous rectifier; l’imagination au contraire, qui tend à nous porter continuellement au-delà du vrai, la confiance en nous-mêmes, qui touche de si près à l’amour-propre, nous sollicitent à tirer des conséquences qui ne dérivent pas immédiatement des faits : il n’est donc pas étonnant que, dans des temps très voisin du berceau de la chimie, on ait supposé au lieu de conclure, que les suppositions transmises d’âge en âge se soient transformées en préjugés, & que ces préjugés aient été adoptés & regardés comme des vérités fondamentales, même par de très bons esprits.

Le seul moyen de prévenir ces écarts consiste à supprimer, ou au moins à simplifier, autant qu’il est possible, le raisonnement qui est de nous, & qui peut seul nous égarer, à le mettre continuellement à l’épreuve de l’expérience; à ne conserver que les faits qui sont des vérités données par la nature, & qui ne peuvent nous tromper; à ne chercher la vérité que dans l’enchaînement des expériences & des observations, surtout dans l’ordre dans lequel elles sont présentées, de la même manière que les mathématiciens parviennent à la solution d’un problème par le simple arrangement des données, & en réduisant le raisonnement à des opérations si simple, à des jugements si courts, qu’ils ne perdent jamais de vue l’évidence qui leur sert de guide.

Cette méthode, qu’il est si important d’introduire dans l’étude & dans l’enseignement de la chimie, est étroitement liée à la réforme de sa nomenclature : une langue bien faites, une langue dans laquelle on aura saisi l’ordre successif & naturel des idées, entraînera un révolution nécessaire & même prompte dans la manière d’enseigner; elle ne permettra pas à ceux qui professeront la chimie de s’écarter de la marche de la nature; il faudra ou rejeter la nomenclature, ou suivre irrésistiblement la route qu’elle aura marquée. C’est ainsi que la logique des sciences tient essentiellement à leur langue, & quoique cette vérité ne soit pas neuve, quoiqu’elle ait été déjà annoncée, comme elle n’est pas suffisamment répandue, nous avons cru nécessaire de la retracer ici.

Si après avoir considéré les langues comme des méthodes analytiques nous les considérons simplement comme une collection de signes représentatifs, elles nous présenteront des observations d’un autre genre. Nous aurons, sous ce second point de vue, trois choses à distinguer dans toute science physique. La série des faits qui constitue la science; les idées qui rappellent les faits; les mots qui les expriment. Le mot doit faire naître l’idée; l’idée doit peindre le fait : ce sont trois empreintes d’un même cachet, & comme ce sont les mots qui conservent les idées & qui les transmettent, il en résulte qu’il serait impossible de perfectionner la science, si on n’en perfectionnait le langage, & que quelque vrais que fussent les faits, quelque justes que fussent les idées qu’ils auraient fait naître, ils ne transmettraient encore que des impressions fausses, si on n’avait pas des expressions exactes pour le rendre. La perfection de la nomenclature de la chimie, envisagée sous ce rapport, consiste à rendre les idées & les faits dans leur exacte vérité, sans rien supprimer de ce qu’ils présentent, surtout sans rien y ajouter : elle ne doit être qu’un miroir fidèle car, nous ne saurions trop le répéter, ce n’est jamais la nature ni les faits qu’elle présente, mais notre raisonnement qui nous trompe.

On sent assez, sans que nous soyons obligés d’insister sur les preuves, que la langue de la chimie, telle qu’elle existe aujourd’hui, n’a point été formée d’après ces principes; & comment aurait-elle pu l’être dans des siècles où la marche de la physique expérimentale n’était point encore connue; où l’on donnait tout à l’imagination, presque rien à l’observation; où l’on ignorait jusqu’à la méthode d’étudier ?

Une partie d’ailleurs des expressions dont on se sert en chimie y a été introduite par les alchimistes : il leur aurait été difficile de transmettre à leur lecteurs, ce qu’ils n’avaient pas eux-mêmes, des idées justes & vraies. De plus leur objet n’était pas toujours de se faire entendre. Ils se servaient d’un langage énigmatique qui leur était particulier, qui, le plus souvent, présentait un sens pour les adeptes, un autre sens pour le vulgaire, & qui n’avait rien d’exact & de clair, ni pour les uns, ni pour les autres. C’est ainsi que l’huile, le mercure, l’eau elle-même des philosophes n’étaient ni l’huile, ni le mercure, ni l’eau dans le sens que nous y attachons. L’homo galeatus, l’homme armé, désignait une cucurbite garnie de son chapiteau; la tête de mort, un chapiteau d’alambic; le pélican exprimait un vaisseau distillatoire; le caput mortuum, la terre damnée, signifiait le résidu d’une distillation.

Une autre classe de savants, qui n’ont pas beaucoup moins défiguré le langage de la chimie, sont les chimistes systématiques. Ils ont rayé du nombre des faits ce qui ne cadrait pas avec leurs idées : ils ont, en quelque façon, dénaturé ceux qu’ils ont bien voulu conserver; ils les ont accompagnés d’un appareil de raisonnement qui fait perdre de vue le fait en lui-même; en sorte que la science n’est plus entre leurs mains que l’édifice élevé par leur imagination.

Il est temps de débarrasser la chimie des obstacles de toute espèce qui retardent ses progrès; d’y introduire un véritable esprit d’analyse, & nous avons suffisamment établi que c’était par le perfectionnement du langage que cette réforme devait être opérée. Nous sommes bien éloignés sans doute de connaître tout l’ensemble, toutes les parties de la science; on doit donc s’attendre qu’une nomenclature nouvelle, avec quelque soin qu’elle soit faite, sera loin de son état de perfection; mais pourvu qu’elle ait été entreprise sur de bons principes, pourvu que ce soit une méthode de nommer, plutôt qu’une nomenclature, elle s’adaptera naturellement aux travaux qui seront faits dans la suite, elle marquera d’avance la place & le nom des nouvelles substances qui pourront être découvertes, & elle n’exigera que quelques réformes locales & particulières.

Nous serions en contradiction avec tout ce que nous venons d’exposer, si nous nous livrions à de grandes discussions sur les principes constituants des corps & sur leurs molécules élémentaires. Nous nous contenterons de regarder ici comme simples toutes les substances que nous ne pouvons pas décomposer, tout ce que nous obtenons en dernier résultat par l’analyse chimique. Sans doute un jour ces substances, qui sont simples pour nous, seront décomposées à leur tour, & nous touchons probablement à cette époque pour la terre siliceuse & pour les alcalis fixes; mais notre imagination n’a pas dû devancer les faits, & nous n’avons pas dû en dire plus que la nature nous en apprend.

Ce sont ces substances, que nous appelons sans doute improprement substances simples, que nous avons cru devoir nommer les premières : la plupart portent déjà des noms dans l’usage de la société; &, à moins qu nous n’y ayons été forcés par des motifs très déterminants, nous nous sommes fait une loi de les conserver. Mais lorsque ces noms entraînaient des idées évidemment fausses, lorsqu’ils pouvaient faire confondre ces substances avec celles qui sont douées de propriétés différentes ou opposées, nous nous sommes permis d’en substituer d’autres que nous avons le plus souvent empruntés du grec. Nous avons fait en sorte d’exprimer par ces nouveaux noms la propriété la plus générale, la plus caractéristique du corps qu’ils désignaient. Nous y avons trouvé deux avantages : le premier de soulager la mémoire des débutants, qui retiennent difficilement un mot nouveau, lorsqu’il est absolument vide de sens; le second de les accoutumer de bonne heure à n’admettre aucun mot sans y attacher une idée.

À l’égard des corps qui sont composés de deux substances simples, comme leur nombre est déjà fort considérable, il était indispensable de les classer. Dans l’ordre naturel des idées, le nom de classe & de genre est celui qui rappelle les propriétés communes à un grand nombre d’individus; celui d’espèce et celui qui ramène l’idée aux propriétés particulières de quelques individus. Cette logique naturelle appartient à toutes les sciences nous avons cherché à l’appliquer à la chimie.

Les acides, par exemple, sont composés de deux substances de l’ordre de celles que nous regardons comme simples; l’une qui constitue l’acidité & qui est commune à tous; c’est de cette substances que doit être emprunté le nom de classe ou de genre : l’autre qui est propre à chaque acide, qui est différente pour chacun, qui les différencie les uns des autres, & c’est de cette substance que doit être emprunté le nom spécifique.

Mais, dans la plupart des acides, les deux principes constituants, le principe acidifiant & le principe acidifié, peuvent exister dans des proportions différentes qui constituent également des points d’équilibre ou de saturation, c’est ce qu’on observe dans l’acide vitriolique & dans l’acide sulfureux; nous avons exprimé ces deux états du même acide, en faisant varier la terminaison du nom spécifique.

Les chaux métalliques sont composées d’un principe qui est commun à toutes et d’un principe particulier propre à chacune; nous avons dû également les classer sous un nom générique, dérivé du principe commun, & les différencier les unes des autres par le nom particulier du métal auquel elles appartiennent.

Les substances combustibles, qui, dans les acides & dans les chaux métalliques, sont un principe spécifique & particulier, sont susceptibles de devenir à leur tour un principe commun à un grand nombre de combinaisons. Les foies de souffre & toutes les combinaisons sulfureuses ont été longtemps les seuls connus en ce genre : on sait aujourd’hui que le charbon se combine avec le fer, & peut-être avec plusieurs autres métaux; qu’il en résulte, suivant les proportions, de l’acier, de la plombagine, etc. Nous avons encore rassemblé ces différentes combinaisons sous des noms génériques, dérivés de celui de la substance commune, avec une terminaison qui rappelle cette analogie, & nous les avons spécifiées par un autre nom dérivé de leur substance propre.

La nomenclature des êtres composées de trois substances simples présentait un peu plus de difficultés, en raison de leur nombre, & surtout parce qu’on ne peut exprimer la nature de leurs principes constituants sans employer des noms plus composés. Nous avons eu à considérer dans les corps qui forment cette classe tels que les sels neutres, par exemple, 1) le principe acidifiant qui est commun à tous; 2) le principe acidifiable qui constitue leur racine propre; 3) la base saline terreuse & métallique qui détermine l’espèce particulière de sel. Nous avons emprunté le nom de chaque classe de sel de celui du principe acidifiable commun à tous les individus de la classe, nous avons ensuite distingué chaque espèce par le nom de la base saline terreuse ou métallique qui lui est particulière.

Un sel, quoique composé des trois mêmes principes, peut être cependant dans des états très différents, par la seule différence de leur proportion. Le sel sulfureux de Stahl, le tartre vitriolé, le tartre vitriolé avec excès d’acide sont trois sels dont les propriétés ne sont pas les mêmes, & cependant ils sont tous trois composés de soufre, de principe acidifiant & d’alcali fixe. La nomenclature que nous proposons aurait été défectueuse, si elle n’eût pas exprimé ces différents états, & nous y sommes principalement parvenus par des changements de terminaisons que nous avons rendues uniformes pour un même état des différents sels.

Enfin nous sommes arrivés au point que par le mot seul on reconnaît sur-le-champ quelle est la substance combustible qui entre dans la combinaison dont il est question; si cette substance combustible est combinée avec le principe acidifiant, & dans quelle proportion; dans quel état est cet acide, à quelle base il est uni; s’il y a saturation exacte; si c’est l’acide ou bien si c’est la base qui est en excès.

On conçoit que nous n’avons pu remplir ces différents objets sans blesser souvent les usages reçus, & sans adopter des dénominations qui paraîtront dures & barbares dans le premier moment; mais nous avons observé que l’oreille s’accoutumait promptement aux mots nouveaux, surtout lorsqu’ils se trouvent liés à un système général et raisonné. Les noms au surplus qui sont actuellement en usage, tels que ceux de poudre d’Algaroth, de sel d’Alembroth de Pompholix, d’eau phagédénique, de turbith minéral, d’éthiops, de colcothar, & beaucoup d’autres ne sont ni moins ni durs, ni moins extraordinaires; il faut une grande habitude & beaucoup de mémoire pour se rappeler les substances qu’ils expriment, & surtout pour reconnaître à quel genre de combinaison ils appartiennent. Les noms d’huile de tartre par défaillance, d’huile de vitriol, de beurres d’arsenic & d’antimoine, de fleur de zinc, etc. sont plus ridicules encore, parce qu’ils font naître des idées fausses; parce qu’il n’existe, à proprement parler, dans le règne minéral, & surtout dans le règne métallique, ni beurre, ni huile, ni fleurs; enfin parce que les substances qu’on désigne sous ces noms trompeurs sont la plupart de violents poisons.

Nous pardonnera-t-on d’avoir changé la langue que nos maîtres ont parlée, qu’ils ont illustrée, & qu’ils nous ont transmise ? Nous l’espérons d’autant plus que c’est Bergman et Macquer qui ont sollicité cette réforme. Le savant professeur d’Upsal, M Bergman, écrivait à M. de Morveau, dans les derniers temps de sa vie : Ne faites grâce à aucune dénomination impropre. Ceux qui savent déjà entendront toujours; ceux qui ne savent pas encore entendront plus tôt. Appelés à cultiver le champ qui a produit pour ces chimistes de si abondantes récoltes, nous avons regardé comme un devoir de remplir le dernier vœu qu’ils ont formé.

Ce texte provient du livre : "Méthode de nomenclature chimique" aux éditions du Seuil, que vous pouvez commander en vous rendant à la page des liens, livres et commentaires pertinents

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