Le travail que nous présentons à l’Académie a été entrepris en commun par M. de Morveau, par M. Berthollet, par M. de
Fourcroy & par moi : il est le résultat d’un grand nombre de conférences, dans lesquelles nous avons été aidés des lumières
& des conseils d’une partie des géomètres de l’Académie & de plusieurs chimistes.
Longtemps avant que les découvertes modernes eussent donné à la chimie une forme pour ainsi dire nouvelle, les savants qui
la cultivaient avaient reconnu la nécessité d’en modifier la nomenclature. M. Macquer et M. Baumé s’en étaient
occupés avec beaucoup de succès dans les leçons qu’ils ont données pendant plusieurs années & dans les ouvrages qu’ils
ont publiés. C’est à eux qu’on doit principalement d’avoir désigner les sels métalliques par le nom de
l’acide & par celui du métal qui entrent dans leur composition; d’avoir classé sous le nom de vitriols
tous les sels résultant de la de la dissolution d’une substance métallique par l’acide vitriolique; sous le nom
de nitres tous les sels dans lesquels entre l’acide nitreux. Depuis M. Bergman, M. Bucquet & M. de Fourcroy
ont étendu plus loin l’application des mêmes principes & la nomenclature de la chimie a acquis, entre leurs mains, des
degrés successifs de perfection.
Mais aucun chimiste n’avait conçu un plan d’une aussi vaste étendue que celui dont M. de Morveau a présenté le
tableau en 1782. Il avait pris dès lors l’engagement de rédiger la partie chimique de l’Encyclopédie méthodique.
Destiné à porter, en quelque façon, la parole, au nom des chimistes français, & dans un ouvrage national, il ne s’était
pas dissimulé qu’il ne suffisait pas de créer une langue, qu’il fallait encore qu’elle fût adoptée, & qu’il
n’y avait que la convention qui pût fixer la valeur des termes. Il crut donc qu’avant de se livrer à l’entreprise
pénible dont il s’était chargé il était nécessaire de pressentir les chimistes français, de développer à leurs yeux
les principes généraux qui devaient lui servir de guide, de leur présenter des tableaux de la nomenclature méthodique qu’il
se proposait d’adopter, & de leur demander une sorte de consentement au moins tacite. Son mémoire fut publié alors
dans le Journal de Physique & il eut la modestie de solliciter, non les suffrages, mais les objections de tous ceux
qui cultivaient la chimie.
Quelque près que M. de Morveau eût approché du but dans cette première tentative, il ne l’avait pas encore atteint.
Il a bien senti lui-même que, dans une science qui est, en quelque façon, dans un état de mobilité, qui marche à grands pas
vers la perfection. Dans laquelle des théories nouvelles se sont élevées, il était d’une extrême difficulté de former
une langue qui convînt aux différents systèmes & qui satisfît toutes les opinions sans en adopter exclusivement aucune.
Pour s’affermir dans sa marche, M. de Morveau a désiré de s’appuyer des conseils de quelques-uns des chimistes
de l’Académie : il a fait cette année un voyage à Paris dans ce dessein; il a offert le sacrifice de ses propres idées,
de son propre travail; & l’amour de la propriété littéraire a cédé chez lui à l’amour de la science. Dans les
conférences qui se sont établies, nous avons cherché à nous pénétrer tous du même esprit; nous avons oublié ce qui avait été
fait, ce que nous avions fait nous-mêmes, pour ne voir que ce qu’il y avait à faire; & ce n’est qu’après
avoir passé plusieurs fois en revue toutes les parties de la chimie, après avoir profondément médité sur la métaphysique des
langues, & sur le rapport des idées avec les mots, que nous nous sommes hasardés à former un plan.
Nous parviendrons difficilement à intéresser l’assemblée qui nous écoute, si nous entreprenions d’énoncer & de
discuter les mots techniques que nous avons adoptés : ces détails feront l’objet d’un second mémoire, que M. de
Morveau s’est chargé de rédiger, & nous le réservons pour nos séances particulières. Nous nous bornerons à entretenir,
dans ce moment, l’Académie des vues générales qui nous ont dirigés, de l’espèce de métaphysique qui nous a guidés
: les principes une fois posés, il ne nous restera plus qu’à en faire des applications, à présenter des tableaux & à
y joindre des explications sommaires. Ces tableaux demeureront exposés, tout le temps qu’il sera jugé nécessaire, dans
la salle de l’Académie, afin que chacun puisse en prendre une connaissance approfondie; que nous puissions recueillir
des avis & perfectionner notre travail par la discussion.
Les langues n’ont pas seulement pour objet, comme on le croit communément, d’exprimer par des signes des idées
et des images, ce sont, de plus, de véritables méthodes analytiques, à l’aide desquelles nous procédons du connu à l’inconnu,
& jusqu’à un certain point à la manière des mathématicien : essayons de développer cette idée.
L’algèbre est la méthode analytique par excellence : elle a été imaginée pour faciliter les opérations de l’esprit,
pour abréger la marche du raisonnement, pour resserrer, dans un petit nombre de lignes, ce qui aurait exiger un grand nombre
de page de discussion; enfin, pour conduire d’une manière plus commode, plus prompte & plus sûre à la solution de questions
très compliquées. Mais un instant de réflexion fait aisément apercevoir que l’algèbre est une véritable langue : comme
toute les langues, elle a ses signes représentatifs, sa méthode, sa grammaire, s’il est permis de se servir de cette
expression : ainsi une méthode analytique est une langue; une langue est une méthode analytique, & ces deux expressions sont,
dans une certain sens, synonymes.
Cette vérité a été développée avec infiniment de justesse et de clarté dans la Logique de l’abbé Condillac, ouvrage
que les jeunes gens qui se destinent aux sciences ne sauraient trop lire, & dont nous ne pouvons nous dispenser d’emprunter
quelque idées. Il y a fait voir comment on pouvait traduire le langage algébrique en langage vulgaire & réciproquement; comment
la marche de l’esprit était la même dans les deux cas; comment l’art de raisonner était l’art d’analyser.
Mais si les langues sont de véritables instruments que les hommes se sont formés pour faciliter les opérations de leur esprit,
il est important que ces instruments soient les meilleurs qu’il est possible, & c’est travailler véritablement
à l’avancement des sciences que de s’attacher à les perfectionner.
C’est surtout pour ceux qui commencent à se livrer à l’étude d’une science, que la perfection de son langage
est importante : on en sera convaincu, si l’on veut réfléchir un moment sur la manière dont s’acquièrent nos connaissances.
Dans notre première enfance nos idées viennent de nos besoins; la sensation de nos besoins fait naître l’idée des objets
propres à les satisfaire, & insensiblement, par un suite de sensations, d’observations & d’analyse, il se forme
une génération successive d’idées, toutes liées les unes aux autres, dont un observateur attentif peut même, jusqu’à
un certain point, retrouver le fil & l’enchaînement, & qui constituent l’ensemble de ce que nous savons.
Lorsque nous nous livrons pour la première fois à l’étude d’une science, nous sommes, par rapport à cette science,
dans un état très analogue à celui dans lequel sont les enfants, & la marche que nous avons à suivre est précisément celle
que suit la nature dans la formation de leurs idées. De même que dans l’enfant, l’idée est une suite, un effet
une sensation, que c’est la sensation qui fait naître l’idée, de même aussi, pour celui qui commence à se livrer
à l’étude des sciences physiques, les idées ne doivent être qu’une conséquence immédiate d’une expérience
ou d’une observation.
Qu’il nous soit permis d’ajouter que celui qui entre dans la carrière des sciences est, par rapport à ces sciences,
dans une situation moins avantageuse même que l’enfant qui acquiert ses premières idées. Si celui-ci s’est trompé
sur les effets salutaires ou nuisibles des objets qui l’environnent, la nature lui donne des moyens multipliés de se
rectifier. À chaque instant le jugement qu’il a porté se trouve redressé par l’expérience. La privation ou la
douleur viennent à la suite d’un jugement faux, la jouissance & le plaisir à la suite d’un jugement juste. Avec
de tels maîtres on devient bientôt conséquent, & il faut bien s’accoutumer à raisonner juste, quand on ne peut raisonner
autrement, sous peine de souffrir.
Il n’en est pas de même dans l’étude & dans la pratique des sciences : les faux jugements que nous portons n’intéressent
ni notre existence, ni notre bien-être, aucun intérêt physique ne nous oblige de nous rectifier; l’imagination au contraire,
qui tend à nous porter continuellement au-delà du vrai, la confiance en nous-mêmes, qui touche de si près à l’amour-propre,
nous sollicitent à tirer des conséquences qui ne dérivent pas immédiatement des faits : il n’est donc pas étonnant que,
dans des temps très voisin du berceau de la chimie, on ait supposé au lieu de conclure, que les suppositions transmises d’âge
en âge se soient transformées en préjugés, & que ces préjugés aient été adoptés & regardés comme des vérités fondamentales,
même par de très bons esprits.
Le seul moyen de prévenir ces écarts consiste à supprimer, ou au moins à simplifier, autant qu’il est possible, le raisonnement
qui est de nous, & qui peut seul nous égarer, à le mettre continuellement à l’épreuve de l’expérience; à ne conserver
que les faits qui sont des vérités données par la nature, & qui ne peuvent nous tromper; à ne chercher la vérité que dans
l’enchaînement des expériences & des observations, surtout dans l’ordre dans lequel elles sont présentées, de
la même manière que les mathématiciens parviennent à la solution d’un problème par le simple arrangement des données,
& en réduisant le raisonnement à des opérations si simple, à des jugements si courts, qu’ils ne perdent jamais de vue
l’évidence qui leur sert de guide.
Cette méthode, qu’il est si important d’introduire dans l’étude & dans l’enseignement de la chimie,
est étroitement liée à la réforme de sa nomenclature : une langue bien faites, une langue dans laquelle on aura saisi l’ordre
successif & naturel des idées, entraînera un révolution nécessaire & même prompte dans la manière d’enseigner; elle
ne permettra pas à ceux qui professeront la chimie de s’écarter de la marche de la nature; il faudra ou rejeter la nomenclature,
ou suivre irrésistiblement la route qu’elle aura marquée. C’est ainsi que la logique des sciences tient essentiellement
à leur langue, & quoique cette vérité ne soit pas neuve, quoiqu’elle ait été déjà annoncée, comme elle n’est pas
suffisamment répandue, nous avons cru nécessaire de la retracer ici.
Si après avoir considéré les langues comme des méthodes analytiques nous les considérons simplement comme une collection de
signes représentatifs, elles nous présenteront des observations d’un autre genre. Nous aurons, sous ce second point
de vue, trois choses à distinguer dans toute science physique. La série des faits qui constitue la science; les idées qui
rappellent les faits; les mots qui les expriment. Le mot doit faire naître l’idée; l’idée doit peindre le fait
: ce sont trois empreintes d’un même cachet, & comme ce sont les mots qui conservent les idées & qui les transmettent,
il en résulte qu’il serait impossible de perfectionner la science, si on n’en perfectionnait le langage, & que
quelque vrais que fussent les faits, quelque justes que fussent les idées qu’ils auraient fait naître, ils ne transmettraient
encore que des impressions fausses, si on n’avait pas des expressions exactes pour le rendre. La perfection de la nomenclature
de la chimie, envisagée sous ce rapport, consiste à rendre les idées & les faits dans leur exacte vérité, sans rien supprimer
de ce qu’ils présentent, surtout sans rien y ajouter : elle ne doit être qu’un miroir fidèle car, nous ne saurions
trop le répéter, ce n’est jamais la nature ni les faits qu’elle présente, mais notre raisonnement qui nous trompe.
On sent assez, sans que nous soyons obligés d’insister sur les preuves, que la langue de la chimie, telle qu’elle
existe aujourd’hui, n’a point été formée d’après ces principes; & comment aurait-elle pu l’être dans
des siècles où la marche de la physique expérimentale n’était point encore connue; où l’on donnait tout à l’imagination,
presque rien à l’observation; où l’on ignorait jusqu’à la méthode d’étudier ?
Une partie d’ailleurs des expressions dont on se sert en chimie y a été introduite par les alchimistes : il leur aurait
été difficile de transmettre à leur lecteurs, ce qu’ils n’avaient pas eux-mêmes, des idées justes & vraies. De
plus leur objet n’était pas toujours de se faire entendre. Ils se servaient d’un langage énigmatique qui leur
était particulier, qui, le plus souvent, présentait un sens pour les adeptes, un autre sens pour le vulgaire, & qui n’avait
rien d’exact & de clair, ni pour les uns, ni pour les autres. C’est ainsi que l’huile, le mercure, l’eau
elle-même des philosophes n’étaient ni l’huile, ni le mercure, ni l’eau dans le sens que nous y attachons.
L’homo galeatus, l’homme armé, désignait une cucurbite garnie de son chapiteau; la tête de mort, un chapiteau
d’alambic; le pélican exprimait un vaisseau distillatoire; le caput mortuum, la terre damnée, signifiait le résidu
d’une distillation.
Une autre classe de savants, qui n’ont pas beaucoup moins défiguré le langage de la chimie, sont les chimistes systématiques.
Ils ont rayé du nombre des faits ce qui ne cadrait pas avec leurs idées : ils ont, en quelque façon, dénaturé ceux qu’ils
ont bien voulu conserver; ils les ont accompagnés d’un appareil de raisonnement qui fait perdre de vue le fait en lui-même;
en sorte que la science n’est plus entre leurs mains que l’édifice élevé par leur imagination.
Il est temps de débarrasser la chimie des obstacles de toute espèce qui retardent ses progrès; d’y introduire un véritable
esprit d’analyse, & nous avons suffisamment établi que c’était par le perfectionnement du langage que cette réforme
devait être opérée. Nous sommes bien éloignés sans doute de connaître tout l’ensemble, toutes les parties de la science;
on doit donc s’attendre qu’une nomenclature nouvelle, avec quelque soin qu’elle soit faite, sera loin de
son état de perfection; mais pourvu qu’elle ait été entreprise sur de bons principes, pourvu que ce soit une méthode
de nommer, plutôt qu’une nomenclature, elle s’adaptera naturellement aux travaux qui seront faits dans la suite,
elle marquera d’avance la place & le nom des nouvelles substances qui pourront être découvertes, & elle n’exigera
que quelques réformes locales & particulières.
Nous serions en contradiction avec tout ce que nous venons d’exposer, si nous nous livrions à de grandes discussions
sur les principes constituants des corps & sur leurs molécules élémentaires. Nous nous contenterons de regarder ici comme
simples toutes les substances que nous ne pouvons pas décomposer, tout ce que nous obtenons en dernier résultat par l’analyse
chimique. Sans doute un jour ces substances, qui sont simples pour nous, seront décomposées à leur tour, & nous touchons
probablement à cette époque pour la terre siliceuse & pour les alcalis fixes; mais notre imagination n’a pas dû devancer
les faits, & nous n’avons pas dû en dire plus que la nature nous en apprend.
Ce sont ces substances, que nous appelons sans doute improprement substances simples, que nous avons cru devoir nommer les
premières : la plupart portent déjà des noms dans l’usage de la société; &, à moins qu nous n’y ayons été forcés
par des motifs très déterminants, nous nous sommes fait une loi de les conserver. Mais lorsque ces noms entraînaient des
idées évidemment fausses, lorsqu’ils pouvaient faire confondre ces substances avec celles qui sont douées de propriétés
différentes ou opposées, nous nous sommes permis d’en substituer d’autres que nous avons le plus souvent empruntés
du grec. Nous avons fait en sorte d’exprimer par ces nouveaux noms la propriété la plus générale, la plus caractéristique
du corps qu’ils désignaient. Nous y avons trouvé deux avantages : le premier de soulager la mémoire des débutants,
qui retiennent difficilement un mot nouveau, lorsqu’il est absolument vide de sens; le second de les accoutumer de bonne
heure à n’admettre aucun mot sans y attacher une idée.
À l’égard des corps qui sont composés de deux substances simples, comme leur nombre est déjà fort considérable, il était
indispensable de les classer. Dans l’ordre naturel des idées, le nom de classe & de genre est celui qui rappelle les
propriétés communes à un grand nombre d’individus; celui d’espèce et celui qui ramène l’idée aux propriétés
particulières de quelques individus. Cette logique naturelle appartient à toutes les sciences nous avons cherché à l’appliquer
à la chimie.
Les acides, par exemple, sont composés de deux substances de l’ordre de celles que nous regardons comme simples; l’une
qui constitue l’acidité & qui est commune à tous; c’est de cette substances que doit être emprunté le nom de classe
ou de genre : l’autre qui est propre à chaque acide, qui est différente pour chacun, qui les différencie les uns des
autres, & c’est de cette substance que doit être emprunté le nom spécifique.
Mais, dans la plupart des acides, les deux principes constituants, le principe acidifiant & le principe acidifié, peuvent
exister dans des proportions différentes qui constituent également des points d’équilibre ou de saturation, c’est
ce qu’on observe dans l’acide vitriolique & dans l’acide sulfureux; nous avons exprimé ces deux états du
même acide, en faisant varier la terminaison du nom spécifique.
Les chaux métalliques sont composées d’un principe qui est commun à toutes et d’un principe particulier propre
à chacune; nous avons dû également les classer sous un nom générique, dérivé du principe commun, & les différencier les unes
des autres par le nom particulier du métal auquel elles appartiennent.
Les substances combustibles, qui, dans les acides & dans les chaux métalliques, sont un principe spécifique & particulier,
sont susceptibles de devenir à leur tour un principe commun à un grand nombre de combinaisons. Les foies de souffre & toutes
les combinaisons sulfureuses ont été longtemps les seuls connus en ce genre : on sait aujourd’hui que le charbon se
combine avec le fer, & peut-être avec plusieurs autres métaux; qu’il en résulte, suivant les proportions, de l’acier,
de la plombagine, etc. Nous avons encore rassemblé ces différentes combinaisons sous des noms génériques, dérivés de celui
de la substance commune, avec une terminaison qui rappelle cette analogie, & nous les avons spécifiées par un autre nom dérivé
de leur substance propre.
La nomenclature des êtres composées de trois substances simples présentait un peu plus de difficultés, en raison de leur nombre,
& surtout parce qu’on ne peut exprimer la nature de leurs principes constituants sans employer des noms plus composés.
Nous avons eu à considérer dans les corps qui forment cette classe tels que les sels neutres, par exemple, 1) le principe
acidifiant qui est commun à tous; 2) le principe acidifiable qui constitue leur racine propre; 3) la base saline terreuse
& métallique qui détermine l’espèce particulière de sel. Nous avons emprunté le nom de chaque classe de sel de celui
du principe acidifiable commun à tous les individus de la classe, nous avons ensuite distingué chaque espèce par le nom de
la base saline terreuse ou métallique qui lui est particulière.
Un sel, quoique composé des trois mêmes principes, peut être cependant dans des états très différents, par la seule différence
de leur proportion. Le sel sulfureux de Stahl, le tartre vitriolé, le tartre vitriolé avec excès d’acide sont trois
sels dont les propriétés ne sont pas les mêmes, & cependant ils sont tous trois composés de soufre, de principe acidifiant
& d’alcali fixe. La nomenclature que nous proposons aurait été défectueuse, si elle n’eût pas exprimé ces différents
états, & nous y sommes principalement parvenus par des changements de terminaisons que nous avons rendues uniformes pour un
même état des différents sels.
Enfin nous sommes arrivés au point que par le mot seul on reconnaît sur-le-champ quelle est la substance combustible qui entre
dans la combinaison dont il est question; si cette substance combustible est combinée avec le principe acidifiant, & dans
quelle proportion; dans quel état est cet acide, à quelle base il est uni; s’il y a saturation exacte; si c’est
l’acide ou bien si c’est la base qui est en excès.
On conçoit que nous n’avons pu remplir ces différents objets sans blesser souvent les usages reçus, & sans adopter
des dénominations qui paraîtront dures & barbares dans le premier moment; mais nous avons observé que l’oreille s’accoutumait
promptement aux mots nouveaux, surtout lorsqu’ils se trouvent liés à un système général et raisonné. Les noms au surplus
qui sont actuellement en usage, tels que ceux de poudre d’Algaroth, de sel d’Alembroth de Pompholix,
d’eau phagédénique, de turbith minéral, d’éthiops, de colcothar, & beaucoup d’autres
ne sont ni moins ni durs, ni moins extraordinaires; il faut une grande habitude & beaucoup de mémoire pour se rappeler les
substances qu’ils expriment, & surtout pour reconnaître à quel genre de combinaison ils appartiennent. Les noms d’huile
de tartre par défaillance, d’huile de vitriol, de beurres d’arsenic & d’antimoine,
de fleur de zinc, etc. sont plus ridicules encore, parce qu’ils font naître des idées fausses; parce qu’il
n’existe, à proprement parler, dans le règne minéral, & surtout dans le règne métallique, ni beurre, ni huile, ni fleurs;
enfin parce que les substances qu’on désigne sous ces noms trompeurs sont la plupart de violents poisons.
Nous pardonnera-t-on d’avoir changé la langue que nos maîtres ont parlée, qu’ils ont illustrée, & qu’ils
nous ont transmise ? Nous l’espérons d’autant plus que c’est Bergman et Macquer qui ont sollicité cette
réforme. Le savant professeur d’Upsal, M Bergman, écrivait à M. de Morveau, dans les derniers temps de sa vie : Ne
faites grâce à aucune dénomination impropre. Ceux qui savent déjà entendront toujours; ceux qui ne savent pas encore entendront
plus tôt. Appelés à cultiver le champ qui a produit pour ces chimistes de si abondantes récoltes, nous avons regardé
comme un devoir de remplir le dernier vœu qu’ils ont formé.
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