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L'époque de Miyamoto Musashi et les Européens

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Par Masumi Shibata (1976)

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L’époque où Miyamoto Musashi vivait (1584-1645) représente un des grands points tournants de l’histoire du Japon. Schématisations : premiers contacts des Japonais avec les Européens ; expansion japonaise sur le Sud-Est asiatique : repli japonais selon une politique de fermeture du pays – sont les points importants de cette époque.

La découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb date de 1492 et le premier contact des Européens avec les Japonais eut lieu un demi-siècle plus tard. Le nom du Japon « Jipang » apparaît dans l’œuvre de Marco Polo : « Le Livre des Merveilles », datant de la fin du XIIIe siècle. Dans son texte Marco Polo rapporte ce qu’il avait entendu sur le Japon : un pays légendaire dûment pourvu en or. Mais depuis, et pendant 250 ans, aucun Européen ne navigua auprès du japon ni ne foula son sol.

Les premiers Européens qui arrivèrent au Japon furent des Portugais (1543). Plusieurs documents historiques japonais, portugais, espagnols, chinois relatent cet événement. Mais les historiens japonais considèrent que « Les Récits sur le Fusils (Teppô) » écrits par un moine Zen, Nampo Bunshi en 1606, c’est-à-dire 63 ans après cet événement, sont les plus justes. Nampo Bunshi dédia son récit au seigneur de l’île Tanegashima, au sud du Kyushu, où les Portugais avaient débarqué. Entre autres, il dit :

« Le 23 septembre 1543 (selon le calendrier solaire), un grand bateau étrange échouait dans une crique étroite de l’île Tanegashima. Des centaines de marins étaient à bord. Jamais nous n’avions vu des visages comme ceux de ces marins. Aucune documentation n’était possible avec eux. Heureusement, des Chinois des Ming étaient et aussi le chef de notre village savait lire et écrire. Ainsi, ils écrivirent sur le sablela plage à l’aide de cannes. Et alors, nous avons su qu’ils étaient des commerçants barbares de l’Ouest et du Sud, obéissant à une hiérarchie mais ne connaissant pas la politesse, n’utilisant pas de baguettes pour manger mais mangeant avec les mains.

« Le seigneur de l’île, Tanegashima Tokitaka, apprit la nouvelle et fit guider le grand bateau par des dizaines de barques. Juste à ce moment-là, un moine bouddhiste du Kyushu se trouvait là. Il communiqua avec ces Chinois des Ming par l’écriture et sut ainsi les noms des chefs.

« À ce moment-là les insulaires aperçurent une chose longue, bizarre, qu’ils portaient à la main. C’était droit et vide à l’intérieur et une des extrémités était pleine. C’étaient des fusils (Teppô). Pour les essayer on posa une cible blanche à terre. On plaça une balle ronde de plomb, on visa, puis tira. La cible fut immédiatement atteinte. Le feu sortit comme une étincelle et le bruit était aussi fort que le tonnerre, à se boucher les oreilles. L’effroi était tel qu’on en avait la bile remuée. Rien de tout ce que nous connaissions jusque-là ne pouvait être comparé à cela.

« Le seigneur de l’île en fut stupéfait. Il en acheta sans s’occuper du prix. Il ordonna à ses sujets d’apprendre à fabriquer la poudre, la façon de l’utiliser. Lui-même, du matin au soir, s’exerça au tir et il parvint à faire mouche à tous les coups. L’année suivante, un bateau portugais parvenait à l’île. Le seingeur apprit qu’un fabricant de fusils était à bord. Il lui demanda d’apprendre à ses sujets les techniques de fabrication. C’est ainsi que commença chez nous la fabrication des fusils. »

L’île de Tanegashima est sauvage, située à l’extrémité sud du Japon et donc très éloignée des centres. Ses habitants n’avaient jamais vu d’armes à feu et il était naturel qu’ils aient vu pour la première fois des fusils. Mais les « Teppô » existaient déjà.

Lorsque l’on regarde les peintures japonaises représentant des scènes de l’invasion mongole de 1274, on aperçoit des éclats d’armes à feu et on peut lire aussi, au-dessus de ces éclats, l’inscription : « Tetsu-hô » (tetsu = fer, hô = canon, teppô est un dérivé du mot tetsuhô). Le « Tetsu-hô » est constitué d’un petit réservoir métallique contenant la poudre qu’on lance à l’aide d’une corde. C’était en quelque sorte une grenade primitive. Les Mongols l’appelaient « Tonnerre faisant trembler le ciel ». Il semble que les Mongols aient utilisé pour la première fois cette arme en attaquant le Japon. Ajoutons d’ailleurs que leur but était d’utiliser des soldats japonais pour des invasions futures du Sud-Est asiatique.

Arima Seiho, spécialiste de l’histoire des armes à feu de l’Extrême-Orient, prétend avec preuves à l’appui que les Chinois ont découvert le salpêtre à l’époque des Han et à l’époque des T’ang ils mettaient au point la fabrication de la poudre qu’ils utilisaient pour les feux d’artifice. A l’époque du règne de l’empereur T’ai Tsou des Song (qui régna de 960-976) apparurent les premières armes à feu : flèches avec poudre, boulets de canon, sorte de « bazooka » en bambou. A la fin des Yuan et au début des Ming les armes à feu connurent un nouveau développement. En 1355, le spécialiste Tsiao Yu fabriqua une sorte de petit fusil de bronze et l’offrit à l’empereur T’ai Tsou (Tchou Yuantchang) des Ming. Lorsque l’empereur vit l’objet, plein de joie il dit : « Avec ça, je pourrai unifier la Chine aussi facilement que je retourne la main. Si j’y parviens je te ferai grand seigneur. » Un petit fusil de bronze portant inscrite la date de 1372 existe encore aujourd’hui. Sa bouche a un calibre de 20 mm et il est long de 44 cm. Cette arme fut fabriquée en série au début du XVe siècle. Le secret de fabrication étant jalousement gardé, son expansion ne fut pas rapide. Cette sorte de fusil était déjà transmise en Corée en 1356. A cette époque la Corée souffrait des invasions de pirates japonais et les Coréens étaient très satisfaits de l’effet de ces armes contre ces malfaiteurs venus du Japon. Au Japon, M. Yoshioka Shin’ichi, résidant à Kyoto possède un exemplaire de ces fusils chinois, le plus ancien conservé au japon. Il porte inscrit la date 1377.

L’historien Naganuma Kenkai prouve à l’aide de documents coréens et japonais que, au XVe siècle, les Japonais connaissaient ces petits fusils de bronze. L’«Histoire de cinq Générations de Hôjô » nous dit : « Le Teppô est arrivé en 1510 de Chine et on le fabrique à Sakai. » Ce Teppô est justement un petit fusil de bronze et Sakai était à cette époque la plus grande ville industrielle du Japon. Aussi, le « Miroir militaire de la Province Kaï-Sud » raconte la bataille (1548) qui se déroula au champ Uedahara entre Takeda Harunobu et Murakami Yoshikiyo. On décrit la façon d’utiliser le Teppô en détail : nombre de soldats qui en avaient, nombre de balles dont chacun disposait et comment les soldats munis de Teppô manoeuvraient au milieu des archers et des sabreurs. Ainsi l’historien Hayashiya Tatsusaburô tire la conclusion : « Ce petit fusil de bronze est antérieur et désuet par rapport au fusil moderne des Portugais arrivés à lîle de Tanegashima et visait bien plus mal. Donc, les seigneurs Hôjô et Takeda qui possédaient des terres à l’est du Japon, qui connaissaient ce petit fusil de bronze, s’intéressèrent moins aux fusils portugais modernes de Tanegashima et ce fut l’une des raisons de leur déclin. »

L’introduction du christianisme au Japon succéda à celle du fusil par les Portugais. Ce fut aussi un grand événement dans l’histoire du Japon. Le 15 août 1549, une jonque chinoise pénétrait dans la baie de Kagoshima, au sud du Kyushu. Elle était partie de Malacca. Trois Européens vêtus bizarrement, comme jamais des Japonais n’en avaient vu, et trois guides japonais débarquèrent de la jonque. L’un était François Xavier, noble espagnol qui avait rencontré les trois guides japonais à Malacca. Il y avait quinze ans jour pour jour qu’il avait juré à Montmartre avec Ignace de Loyola et cinq autres compagnons : « de répandre le christianisme dans le monde entier ». En 1540 leur groupe fut consacré par le Pape et ils furent appelés « jésuites ».

François Xavier séjourna deux ans et trois mois au Japon. Ses efforts furent si intenses que ses cheveux devinrent tous blancs, mais il obtint peu de résultat. Il réussit à convertir un millier de croyants dans l’ouest du Japon. Jadis, dans la région de Travancore en Inde, il avait baptisé dix mille personnes en un mois et en comparaison, son résultat au Japon était très faible. Les lettres qu’il adressa à ses frères en religion à Goa en Inde renferment ses précieuses premières impressions sur le Japon. Célèbres furent ses paroles : « Parmi les races non chrétiennes, sans doute, celle-ci est la meilleure »; « La volonté d’apprendre est très grande chez les Japonais. Il faut donc envoyer des missionnaires suffisamment éloquents et intelligents pour convaincre à l’aide de débats avec des lettrés japonais et surtout des bonzes japonais. » Il remarqua bien que les seigneurs de l’ouest du Japon montraient beaucoup de zèle pour l’expansion du commerce avec les pays étrangers. Il conclut : « Il faut envoyer des navires de commerce depuis Goa via Malacca, fonder des comptoirs commerciaux dans les ports japonais et demander aux missionnaires de s’occuper des marchandises. Ainsi, nous aurons de gros intérêts. » Ses idées étaient très clairvoyantes dans la prévision du futur.

Une fois que la nouvelle de la découverte de l’archipel du Japon se répandit parmi les colons portugais de l’Asie du Sud, le retentissement fut très grand. Ils vinrent au Japon à bord de navires jaugeant de 600 à 1000 tonnes qu’ils avaient construits ou bien à bord de jonques chinoises et établirent un très bon commerce. Ils échangeaient de la soie brute produite en Chine contre de l’argent (métal) japonais. La soie brute chinoise était le produit le plus recherché au Japon, donc les Portugais pouvaient en tirer un bénéfice net allant de 30 à 60%. On dit qu’à cette époque en Chine, le prix de la soie brute augmenta de quatre fois en huit jours. En ce temps-là les côtes chinoises subissaient les incursions des pirates japonais et le gouvernement chinois des Ming n’avait pas les moyens de les détruire. Le commerce sino-japonais avait donc été interrompu. C’est ainsi que les Portugais en profitèrent et deux ports apparurent sur la scène du commerce international : Macao, cédé à bail aux Portugais en 1557 et Nagasaki au Japon. En 1590 la population de Nagasaki était de 5000 habitants, mais pendant les mois où les navires portugais en provenance de Macao se trouvaient dans le port, la population de la ville était plus importante avec les commerçant venus des autres régions du Japon. Les navires portugais arrivaient en général en juillet à Nagasaki et en repartaient en février ou mars, car les vents les y contraignaient et cela convenait à la manipulation des marchandises. Ainsi, les navires portugais demeuraient 8 à 9 mois à Nagasaki. En 1611, la population de Nagasaki s’élevait à 15000 habitants.

Le rapport de la Compagnie de Jésus, daté de 1581 nous apprend que : « le nombre des chrétiens au Japon est de 150 000 ». A cette époque, la chrétienté ne se rencontrait qu’à l’ouest du Japon. Donc, si cette population de l’ouest du Japon s’élevait à environ 15 millions d’habitants, les chrétiens ne devaient représenter que 1% de la population. Oda Nobunaga, grand seigneur féodal de l’époque, avait l’esprit généreux et il aida beaucoup l’expansion du christianisme. Oda haïssait les moines bouddhistes à cause de leurs contestations incessantes et de leur puissance. Ainsi, dans l’intention de les contrecarrer, il accueillit favorablement les missionnaires catholiques et voulut utiliser politiquement cette situation pour atteindre son but qui était l’unification du Japon en réprimant toutes les forces antagonistes.

En 1582, les efforts incessants des missionnaires catholiques depuis l’arrivée au Japon en 1549 de François Xavier virent leur consécration dans l’envoi depuis Nagasaki de quatre adolescents, fils de seigneurs de Kyushu, âgés de 13 à 15 ans, à Lisbonne. De Lisbonne ils se rendirent à Rome où ils furent reçus par le Pape au cours des deux mois de leur séjour romain. Puis, via Lisbonne ils s’en retournèrent à Nagasaki. 8 ans et 5 mois s’étaient écoulés depuis leur départ du Japon.

Mais pendant le voyage de ces envoyés adolescents, la politique du Japon vis-à-vis du christianisme s’était modifiée. Toyotomi Hideyoshi avait succédé à Oda Nobunaga assassiné en 1582. Toyotomi Hideyoshi avait promulgué un dévret d’interdiction du christianisme le 24 juillet 1587. Le décret en 5 articles peut se résumer ainsi : Interdiction du christianisme contraire au shintoïsme et au bouddhisme traditionnels du Japon. Les missionnaires sont interdits de séjour au Japon. D’ici 20 jours ils doivent tous avoir quitté le territoire. Cependant les navires de commerce en provenance des pays chrétiens sont admis.

Les historiens donnent plusieurs raisons à cette interdiction du christianisme par Toyotomi Hideyoshi, mais la principale était le danger d’une éventuelle colonisation du Japon. La crainte était que les missionnaires chrétiens ne convertissent plusieurs seigneurs, ne les poussent à se révolter et qu’ils ne conquièrent des territoires. En effet, un événement se produisit dix ans après la promulgation du décret, en 1596, venant confirmer les craintes de Toyotomi Hideyoshi : un bateau espagnol jaugeant 700 tonnes en provenance de l’île Luçon (conquise par l’Espagne en 1570) et se dirigeant vers le Mexique fit naufrage et vient s’échouer en Shikoku du Japon. A bord il y avait 200 marins et passagers. Après leur débarquement, des fonctionnaires japonais vinrent les contrôler ainsi que le fret du navire. Alors, un pilote espagnol du navire commit une bévue d’importance. En montrant aux Japonais une carte du monde, il montra orgueilleusement combien étaient vastes les territoires sous contrôle espagnol. Les fonctionnaires japonais lui demandèrent : « Par quel moyen avez-vous tellement agrandi vos territoires ? » - « L’Espagne envoie d’abord des missionnaires pour transmettre le christianisme à un peuple. Lorsque les fidèles deviennent nombreux, l’Espagne envoie alors des militaires qui en écho avec les fidèles indigènes peuvent conquérir facilement ces pays.» Le Rapport des fonctionnaires parvint à Toyotomi Hiudeyoshi et sis craintes des dix années précédentes trouvaient ainsi leurs preuves. Toyotomi Hideyoshi en promulguant dix ans auparavant son décret d’interdiction du christianisme n’en avait pas voulu une application trop stricte. Mais en apprenant la gaffe espagnole, il durcit son attitude.

Selon certains historiens, le durcissement de Toyotomi Hideyoshi à l’égard du christianisme avait pour origine les calomnies des Portugais habitant Kyoto sur les Espagnols : « Les Espagnols sont des pirates. Comme au Pérou, au Mexique et aux Philippines ils envoient des missionnaires franciscains au Japon, ils procèdent au quadrillage du pays, font du commerce, mais leur but final est la conquête du pays.» Remarquons que la Compagnie de Jésus portugaise et l’ordre franciscain espagnol s’acharnaient chacune sévèrement pour répandre le christianisme au Japon et les relations entre eux étaient tendues.

Ainsi, le 5 février 1597, six missionnaires franciscains et vingt fidèles japonais furent crucifiés à Nagasaki. Ces vingt-six crucifiés ont été béatifiés plus tard, en 1862. Le gouverneur espagnol de Manille envoya une ambassade afin de demander au Japon les corps des missionnaires crucifiés. Cette ambassade partit pour le Japon porteuse d’une lettre du gouverneur, de son portrait et d’objets en argent, d’armes et d’un éléphant en présents. Cet éléphant produisit un effet sensationnel sur les Japonais qui n’en avaient jamais vu. Les spectateurs étaient si nombreux au passage de l’éléphant qu’il y eut des accidents mortels. Un commerçant espagnol qui résidait au Japon à ce moment-là, laissa un récit amusant sur des émotions de Toyotomi Hideyoshi :

A l’arrivée de Toyotomi Hideyoshi, le cornac fit s’agenouiller trois fois l’éléphant, lever sa trompe au-dessus de sa tête et barrir très fort. Toyotomi en était subjugué et il demanda au cornac ce que tout cela signifiait. Celui-ci répondit : « Il peut comprendre qui vous êtes, Votre Seigneurie et il vous a salué à sa façon. » Toyotomi était encore plus ému et lui demanda son nom. – « On l’appelle dom Pedro. » Toyotomi ne descendit pas de l’estrade, mais s’approcha tout au bord et l’appela deux fois : « dom Pedro! dom Pedro! » Alors, l’éléphant salua à nouveau de la même façon. Toyotomi était très satisfait et applaudit plusieurs fois fébrilement en disant : « Oh! Oh! Oh! » Tous les grands seigneurs du Japon assistaient à cette scène. Toyotomi interrogea : « Qu’est-ce que mange un éléphant? » - « Il mange tout ce qu’on lui donne. » Alors on apporta deux grands plateaux chargés de melons et de pêches. Toyotomi pris lui-même un des plateaux et l’offrit à l’éléphant. L’éléphant prit des fruits avec sa trompe et les déposa sur le sommet de sa tête. Puis il les mangea. Toyotomi posa devant l’éléphant tous les fruits qui restaient et l’éléphant les mangea très vite sans broncher et sans rejeter ni noyaux ni pépins. Toyotomi fixait l’éléphant sans relâche et tendait l’oreille pour entendre les réflexions de tous les admirateurs de l’éléphant, cet animal fabuleux à la sagesse splendide.

En 1590, Toyotomi réussit à dominer tous les seigneurs du Japon. Alors, la vie du peuple se stabilisa et en conséquence les demandes en marchandises extérieures devinrent plus importantes. Le produit le plus demandé était toujours la soie brute. Un commerçant espagnol qui résidait depuis longtemps au Japon nous en a laissé le récit : « Aujourd’hui, même toute la soie brute venant de Chine et de Manille ne peut satisfaire la demande japonaise. Tous les ans le Japon consomme plus de 200 tonnes de soie brute. » Correspondant à l’augmentation de la demande du peuple japonais en marchandises étrangères, l’expansion extérieure japonaise allait s’amplifiant. A ce moment, un Japonais résidant aux Philippines écrivit à Toyotomi Hideyoshi : « La défense de Manille est faible. Si le Japon envoie une armée il pourra facilement la conquérir. Ou bien si vous la menacez d’envoyer une forte armée elle s’inclinera sans coup férir. » Donc, en 1592 Toyotomi envoya à Manille un messager porteur d’une dépêche : « Chez nous, pendant plus d’un siècle les héros s’entre-tuèrent, mais depuis ma naissance j’avais pour destin de les pacifier tous. J’ai accompli cela en dix ans. Maintenant je m’apprête à envoyer une armée en Chine. Inclinez-vous de suite, sinon je vous attaquerai immédiatement. »

Le gouverneur espagnol de Manille demeura stupéfait. Après mûres réflexions le gouvernement décida : « Nous avons peu de moyens de défense. Nous ne pourrions tenir tête à une force japonaise importante. Donc, gagnons du temps en échangeant des messages avec eux et pendant ce temps-là renforçons nos défenses. Si possible résolvons ce problème en paix. » De son côté, Toyotomi Hideyoshi avait établi un plan d’invasion de Taiwan, mais la même année (1592) ayant décidé d’envoyer une armée en Corée, il ne pouvait plus en envoyer vers le Sud (Taiwan et Philippines). Le but de Toyotomi était d’unifier Japon, Corée et Chine des Ming. L’armée japonaise envoyée en Corée était de 158 700 hommes, 9200 marins et environ 100 000 hommes de réserve cantonnés au nord du Kyushu. Cette armée s’avança jusqu’au nord de la Corée, mais la mort de Toyotomi en 1598 (62 ans), provoqua le repli de l’armée japonaise.

Ainsi, le grand projet de Toyotomi tomba à l’eau, mais l’importance politique de cet homme est très grande dans l’histoire du Japon. Dans notre prochain ouvrage : « Littérature Samouraï – Japonais d’Hier et d’Aujourd’hui », nous tenterons de prouver que l’entité japonaise s’est formée à son origine à l’aide d’élément nordistes et sudistes en se basant sur le Kojiki, sur les résultats de recherches archéologiques, etc. Nous y expliquerons comment cette entité se trouva face à un choix à faire de se diriger vers le nord ou vers le sud à l’époque contemporaine, au moment de l’expansion. Ce fut justement Toyotomi qui eut le premier à résoudre ce problème de choix du nord ou du sud dans l’histoire du Japon. Toyotomi, au XVIe siècle, choisit l’avance vers le nord comme le Japon de la fin di XIXe siècle et du début du XXe siècle.

Cet envoie de l’armée de Toyotomi en Corée répond aussi à la question que n’importe qui peut se poser : « Les Portugais, les Espagnols, les Hollandais et les Anglais ont colonisé le Sud-Est asiatique et la Chine. Pourquoi ne tentèrent-ils pas de coloniser aussi le Japon? » Certains historiens japonais tentent de se mettre dans leurs pensées : « Nous pourrions occuper un ou deux ports japonais, mais le Japon peut réunir 300 000 hommes pour envahir la Corée tandis que nous ne pourrions lui opposer autant d’hommes. » Ainsi, le Européens se contentèrent-ils de faire uniquement du commerce avec le Japon.

A ce moment-là, les navires japonais jaugeant de 200 à 800 tonnes mettaient quinze jours pour se rendre à Taiwan, vingt pour les Philippines et environ un mois pour l’Annam. Toyotomi apportait tout son zèle au développement du commerce extérieur et tenta de s’enrichir lui-même en se réservant une grande partie de la soie brute et de l’or importés. Il importa aussi en grande quantité du plomb (pour munitions), du salpêtre (pour la poudre). Il est très intéressant de constater que les poteries utilisées quotidiennement par les indigènes de Luçon (Philippines) étaient importées aussi en grande quantité, car Toyotomi était un grand fervent de la Cérémonie du Thé qui était très en vogue à ce moment-là. Ces poteries des Philippines apportaient un certain exotisme et nourrissaient le snobisme de l’époque. Elles ne coûtaient presque rien aux Philippines, mais étaient onéreuses au Japon. Toyotomi intervenait dans le commerce de ces poteries et en tirait grand profit.

Vers la mi-mars de l’an 1600, un bateau hollandais jaugeant 300 tonnes vint dériver dans la baie Usuki, au nord-est du Kyushu. Il faisait partie d’une flotille de cinq navires partis de Rotterdam deux années auparavant au cours de l’été. Il avait franchi le détroit de Magellan et traversé l’Océan Pacifique. Le navire était très endommagé. Vingt-quatre marins seulement survécurent sur les cent dix qui montaient le navire au départ. Sur les vingt-quatre, seul quelques-uns étaient encore capables de marcher. Le capitaine était hollandais et l’officier de navigation anglais (William Adams). Le navire, devenu inutilisable, fut abandonné. La statue en bois d’Erasme qui décorait la poupe du navire fut seule conservée. Elle appartient aujourd’hui au Musée National de Tokyo. C’est là ;e vestige des premières relations nippo-hollandaises.

La Hollande devint indépendante en 1581 et en Angleterre des commerçant londoniens fondaient la Compagnie des Indes Orientales, le 31 décembre 1600, avec autorisation de la reine Elilzabeth 1re. Ainsi, ces deux pays venaient juste de s’introduire dans le commerce oriental. Il est donc facile de comprendre combien ce bateau hollandais échoué au Japon excita les Portugais qui se mirent à craindre de voir s’écrouler leur monopole commercial sur le Japon. Les Portugais se mirent donc à calomnier les Hollandais auprès de Tokugawa Ieyasu qui avait succédé à Toyotomi Hideyoshi : « Les Hollandais sont des voleurs. Ils truandent dans tous les pays. » Ils allèrent même jusqu’à demander la peine capitale pour ces Hollandais. Nous voyons ici que l’antagonisme précédent entre Portugais et Espagnols s’était mué maintenant en antagonisme entre catholicisme (Portugais, Espagnols) et protestantisme (Hollandais, Anglais). Mais, naturellement, Tokogawa Ieyasu ne saisissait pas la différence entre catholicisme et protestantisme. Il prit soin des marins hollandais et les traita bien. En particulier, William Adams, qui épousa par la suite une Japonaise, séjourna longtemps au Japon en tant que conseiller de Tokugawa Ieyasu et, ainsi, contribua beaucoup au développement de la navigation japonaise (voir : « Tokyo et ses Environs », Paris, Guides Bleus Illustrés Hachette, page 64).

Tokugawa Ieyasu était aussi vivement intéressé par le commerce extérieur. Il le développa non seulement avec le sud de l’Asie, mais encore avec le Mexique. Pour l’exécution de son plan, le seigneur Date Masamune, de la ville de Sendai (nord du Japon), envoya en 1613 Hasekura Tsunenaga en mission au Mexique. Le bateau que fit construire Date Masamune était long de 18 kens (38,58 m) et large de 5 kens 1/2 (9,95 m), et avait un équipage de 180 marins. Des commerçants japonais et européens étaient à bord. Après avoir été au Mexique, Hasekura se rendit en Espagne et séjourna deux mois à Rome. Il repassa en Espagne pour retourner au Mexique où son suzerain, le seigneur Date, avait envoyé un autre navire pour le ramener au Japon via les Philippines. Il séjourna deux années à Manille et retourna au Japon huit ans après son départ.

Tokugawa Ieyasu avait pris en mains le pouvoir politique du Japon après sa victoire à Sekigahara en 1600. Aussitôt, il envoya des lettres amicales aux hommes d'Etat étrangers :

« Si des navires nippons parviennent dans vos ports, examinez bien qu'ils soient porteurs du même sceau que j'ai apposé sur cette lettre en preuve. Les bateaux qui ne seraient pas porteurs de ce sceau ne sont pas autorisés à commercer. »

Ces navires porteurs du sceau au nom de Tokugawa Ieyasu sont appelés : « bateaux au sceau rouge ». Ce sceau rouge fut apposé environ 300 fois, jusqu'à la fermeture du pays en 1633. C'est dire que « les bateaux au sceau rouge » recevaient leur autorisation à raison de 10 à 15 en moyenne par an. Leur destination était tout le Sud-Est asiatique, mais six régions, la Cochinchine, le Siam, Luçon, le Cambodge, Taiwan et le Tonkin occupaient 85 % du total.

A cette époque, les paiements utilisés dans le commerce extérieur du Japon se faisaient en monnaie d'argent, utilisée aussi pour les règlements portuaires japonais, pour les achats à l'étranger et ainsi beaucoup d'argent sortit du Japon. Les navires qui transportaient de l'argent japonais à l'extérieur étaient, par ordre d'importance : les navires japonais porteurs du sceau rouge, les navires portugais, chinois et hollandais. Au début du xviie siècle les bateaux de commerce hollandais étaient peu nombreux et la quantité de monnaie d'argent qu'ils transportaient n'était que le tiers de celle transportée par les bateaux portugais. Tentons maintenant d'évaluer combien d'argent sortit du Japon à cette époque. Les spécialistes ont fait des évaluations minima sur les navires des quatre nationalités : entre 130 et 165 tonnes/an. Les spécialistes estiment qu'à cette époque l'argent produit dans le monde entier hormis le Japon était de 390 tonnes/an, au maximum de 420 tonnes/an. Donc, la quantité d'argent sortie du Japon atteignait 30 à 40 % de la production mondiale. Ainsi, on comprend facilement pourquoi les commerçants occidentaux ou orientaux apportaient tant de zèle à l'expansion de leur commerce avec le Japon.

En dehors de ces monnaies d'argent, le Japon exportait du cuivre, des monnaies de cuivre, du soufre, du camphre, de la farine de froment, des objets de l'artisanat, etc. A cette époque, en Asie, peu de pays extrayaient le cuivre en dehors du Japon. Les bouilloires de cuivre japonaises étaient très prisées dans l'Asie entière. Depuis les environs de 1749, les Chinois commencèrent à extraire en grande quantité le cuivre du Yunnan, mais auparavant les soldes des innombrables soldats chinois étaient réglées en mon¬naie de cuivre dont la matière provenait du Japon. Aussi le cuivre japonais servait à fabriquer les monnaies de cuivre que le peuple chinois utilisait quotidiennement. Le cuivre du Japon était exporté en Chine, au Sud-Est asiatique, aux Indes et en Perse, mais aussi les navires hollandais en transportaient de Java jusqu'en Europe.

Les importations japonaises consistaient en soie brute, étoffes de soie, coton, peaux de daims, peaux de requins, de l'étain, du plomb, du sucre et plusieurs essences de bois parfumés. (Les peaux de daims étaient utilisées pour vestes, jupes pour hommes et socks, lacets de cuir pour armures et toutes sortes de sacs, etc. Les peaux de requins étaient utilisées pour les fourreaux et poignées de sabres.)

En correspondance à ce commerce extérieur en vogue les Japonais émigraient un peu partout dans le Sud-Est asiatique. Tout d'abord, ils allèrent en Luçon où depuis 1558 environ des navires japonais étaient venus pour acheter de l'or et des peaux de daims bon marché, pour les importer au Japon. Lorsque, en 1570, des Espagnols arrivèrent pour la première fois à Manille, leurs comptes rendus nous disent qu'une vingtaine de Japonais y habitaient déjà en dehors des Chinois. Depuis, petit à petit, le nombre des habitants japonais augmenta et en 1620, le quartier japonais de Manille comptait 3 000 habitants.

Les historiens estiment qu'à cette époque environ 10000 Japonais vivaient dans le Sud-Est asiatique. Nous n'avons pas l'intention de reprendre chaque ville en détail, mais le plus intéressant est qu'à cette époque des Japonais se rendirent à Angkor-Wat. Au Cambodge, deux villes avaient des quartiers japonais : Udong, capitale de l'époque, et une cité de la banlieue de Phnom-Penh, ayant chacun environ 200 ressortissants japonais. Les Japonais de passage dans ces quartiers se rendaient en excursion à Angkor-Wat. Le périmètre du grand temple d'Angkor-Wat est de 5 km. Il se compose de trois registres de galeries. A l'extrémité du premier registre Ouest on peut découvrir plusieurs graffiti de visiteurs japonais de cette époque. Le plus connu est constitué par 12 lignes écrites à l'encre de Chine par un samouraï de la ville de Kumamoto, Morimoto Ukondayû-Kazufusa, daté du 20 janvier de la 9e année de Kan-ei (1632) : « Je fais don de quatre statues de bouddhas pour mon père et ma mère défunts. » Le père de Kazufusa était un général vassal du seigneur Kato Kiyomasa qui avait construit le château de Kumamoto (voir : « Les Châteaux-Forts du Japon »). Le père de Kazufusa était très connu parce qu'il s'était distingué au cours de la guerre de Corée et Toyotomi Hideyoshi l'avait récompensé. Son fils, Kazufusa était vassal du seigneur Matsura de la ville Hirado. Avec fierté il parlait à tout le monde de sa visite à Angkor-Wat.

Au Siam aussi vivaient environ 1500 Japonais. Leur chef était le fameux Yamada Nagamasa. Il avait participé à la guerre civile de succession au trône siamois en commandant 800 mercenaires japonais et 20000 soldats siamois. Ainsi, il étouffa la révolte, mais à cause de cela il fut empoisonné par le régent qui voulait s'emparer du trône.

La vie des Japonais dans leurs quartiers était le prolongement de leurs habitudes du Japon : ils portaient un chignon, des kimonos, plaçaient des tatamis (nattes) sur le sol et se faisaient envoyer des aliments japonais depuis le Japon. Une lettre nous restitue bien leur nostalgie : « Quand le vent souffle doucement du nord nous l'aimons à la pensée qu'il vient du Japon. Nous montons dans la montagne, en emportant nos paniers-repas et boîtes à pique-nique et nous y sanglotons, y rions. Et la nuit tombant nous nous en retournons. » Comme nous le voyons dans cette lettre, les Japonais ne s'adaptaient pas aux pays étrangers, ils voulaient retourner bien vite au Japon. Les femmes japonaises émigrant très peu, les Japonais épousaient des femmes indigènes et leurs enfants et petits-enfants n'étaient plus attachés au Japon. De plus les émigrants japonais étaient venus spontanément d'eux-mêmes, sans protection gouvernementale. Et vis-à-vis des Européens qui émigraient systématiquement protégés par leur gouvernement et vis-à-vis des Chinois émigrés plus nombreux et émigrant déjà depuis longtemps, l'installation japonaise n'était pas facile. Un dernier coup de grâce fut porté à cette émigration japonaise : les décrets de fermeture du pays promulgués par 5 fois de 1633 à 1639.

Malgré l'interdiction du christianisme, des missionnaires arrivaient en secret au Japon en se cachant à bord des bateaux japonais, chinois, portugais ou espagnols. Des fidèles chrétiens japonais existaient encore. Donc, ces décrets interdirent aux bateaux japonais et aux Japonais de quitter le territoire, autorisant seulement les bateaux hollandais et chinois à accoster au seul port de Nagasaki. Et les Hollandais et les Chinois étaient les seuls autorisés à habiter chacun dans leurs îlots respectifs de Nagasaki rigoureusement surveillés. Voilà le contenu principal des décrets de fermeture du pays. Le gouvernement Tokugawa tira deux profits de ces décrets : vis-à-vis de l'extérieur, il empêcha une colonisation du Japon, à l'intérieur, il empêcha les seigneurs des provinces de s'enrichir grâce au commerce extérieur.

C'est ainsi qu'en 1639, un bateau hollandais en provenance du Japon atteignait le port de Batavia (Djakarta d'aujourd'hui), à Java, après une absence de plusieurs mois. Il apportait aux Hollandais la nouvelle de la fermeture du Japon. Ceux-ci furent fous de joie, se réjouissant de la réalisation de leurs rêves de longues années. Le gouverneur, les fonctionnaires, les officiers et les citoyens organisèrent une grande fête. La Hollande avait utilisé tous les moyens pour avoir le monopole du commerce avec le Japon. De 1629 à 1635, les Hollandais s'emparèrent ou détruisirent 150 navires portugais en mer à l'est de l'Asie. En 1641, ils occupaient Malacca, base portugaise.

Contre l'Espagne les Hollandais menacèrent la ligne maritime entre Mexique et Luçon. Aussi, ils tendirent des guet-apens aux navires chinois venant du sud de la Chine et qui procuraient de la soie brute et autres marchandises aux navires espagnols de Manille. Ils les coulaient ou les abordaient et s'emparaient des marchandises qu'ils vendaient souvent au Japon. Ils avaient ainsi un bénéfice net.

Contre l'Angleterre, ils saisirent l'occasion du mariage du roi d'Angleterre avec une princesse portugaise en 1662 : le gouverneur hollandais résidant à Batavia avait ordonné au directeur du comptoir commercial qui s'apprêtait à partir pour le Japon : « Efforcez-vous de susciter l'hostilité des Japonais vis-à-vis de ce mariage anglo-portugais. » Ce fut là une tentative hollandaise pour éloigner l'Angleterre du Japon.

Les Hollandais tentaient par tous les moyens d'influencer le gouvernement japonais afin d'empêcher les navires chinois d'approcher du Japon. Mais, géographiquement, Chine et Japon sont proches l'un de l'autre et les côtes chinoises sont trop vastes pour avoir pu être contrôlées par les Hollandais.

Les Hollandais faisaient échec aux Européens et le Japon lui-même empêchait ses propres navires de naviguer vers l'étranger, ce qui profita aux Hollandais qui commercèrent sur les anciens points où les Japonais faisaient autrefois du commerce. C'est ainsi que la Hollande réussit à dominer le commerce en Asie.

Pourquoi la Hollande tenait-elle tant à commercer avec le Japon ? Principalement pour les gros rapports qu'elle en tirait. Les Hollandais réalisaient un bénéfice net annuel d'au moins 4 à 500 000 guldens, allant parfois jusqu'au million de guldens grâce au commerce avec le Japon. Ce bénéfice net était le plus important de tous ceux que les Hollandais tiraient de leurs comptoirs commerciaux en Asie. Voici les statistiques montrant les bénéfices nets des comptoirs commerciaux hollandais en Asie en 1649 :

Japon : 709603 guldens — Formose : 467 534 guldens — Perse : 326 842 guldens — Côte ouest de Sumatra : 93 280 guldens — Surat (au nord de Bombay) (Inde) : 92 592 guldens — Macassar (Célèbes) : 43 523 guldens.

Pour maintenir ce monopole commercial, la Hollande suivait à la lettre la politique antichrétienne des Japonais. Les Hollandais qui soutenaient financièrement leurs pasteurs répandant le protestantisme dans le Sud-Est asiatique s'abstenaient de le faire au Japon. Ils jetaient à la mer, avant que leurs navires n'atteignissent Nagasaki, tous les ouvrages religieux et objets de culte, ou bien les cachaient scrupuleusement dans des coffres à bord.

Les lecteurs français se demanderont peut-être ce que faisait la France à ce moment-là. Colbert, alors ministre des Finances dressa des plans afin d'établir des relations commerciales avec le Japon en choisissant François Caron dont la situation était devenue précaire. Cet homme avait été auparavant directeur du comptoir hollandais de Hirado, très florissant grâce à lui. Mais sa situation s'assombrit à son retour en Hollande. Les Hollandais avaient averti le gouvernement japonais que les Français étaient catholiques et qu'ils avaient déjà envoyé des missionnaires au Siam afin d'y répandre le catholicisme avec ferveur. Ils contrecarrèrent donc les projets de Colbert. En dehors de cela, la France demeura la seule puissance européenne à n'avoir manifesté aucun zèle pour commercer avec le Japon depuis les premiers contacts nippo-européens du xvie siècle jusqu'à aujourd'hui. Cela semble curieux.

Aujourd'hui la France occupe le 18e rang des pays exportateurs au Japon et ses exportations vers le Japon n'atteignent que 38 % de ses importations japonaises.

La fermeture du Japon, qui n'avait plus de contacts avec l'Occident que par l'intermédiaire des Hollandais, dura environ deux siècles. A partir du début du xixe siècle, des navires de guerre russes, anglais et américains parvenaient aux alentours du Japon afin de demander l'ouverture du pays. La controverse d'ouverture ou non du pays nourrit alors toutes les conversations des citoyens japonais.

Analysons maintenant ce problème politique japonais. Le médecin hollandais Kaempfer (1651-1716), né en Allemagne, était venu au Japon en 1690 en tant que médecin du quartier hollandais de Nagasaki et séjourna deux années au Japon. Il écrivit, après son retour en Hollande, un ouvrage de 700 pages intitulé : « The History of Japan ». Ce livre était bien connu en Europe à l'époque. Emmanuel Kant et le marquis de Montesquieu le lirent. (Dans son : « Projet de Paix perpétuelle », Kant qualifie cette fermeture du Japon de sagesse.)

Kaempfer en dit : « Le Japon est constitué d'îles isolées du continent. La végétation y est abondante, son peuple est travailleur, la main-d'œuvre est habile et il peut se suffire à lui-même. De plus les lois y sont sévères et l'ordre règne. Toutes les nations subissent des mécontentements et des révoltes, donc il est avantageux pour un pays de couper toutes relations avec un extérieur pouvant apporter des troubles intérieurs. » Ainsi, Kaempfer était pour la fermeture du Japon. Mais cette attitude était toute naturelle pour un Hollandais dont le pays tirait énormément de bénéfices de cette politique japonaise.

Consultons maintenant les historiens japonais d'aujourd'hui, afin de montrer les qualités et défauts de cette politique.

Qualités : Supposons que des seigneurs ambitieux aient tenté de s'opposer au gouvernement d'Edo (Tokyo) avec l'aide de pays étrangers — cela aurait pu être une menace pour l'unité et la paix nationales. D'un autre côté le Japon pouvait aussi échapper au désordre que des problèmes religieux auraient pu provoquer. En conséquence la plus grande qualité de cette politique fut sans aucun doute la paix apportée pendant trois siècles par le gouvernement Tokugawa. Côté économique, l'industrie intérieure se développa, en particulier les spécialités régionales. Ainsi après la réouverture du pays l'économie japonaise put vite se développer. Côté culturel, sans aucune influence étrangère, les Japonais purent mûrir leur culture traditionnelle (estampes, haïkaï, théâtre kabuki, jardins, arts martiaux...).

Défauts : au premier lieu, diminution de la connaissance du monde extérieur. Désir d'expansion brisé et par là, au moment de la réouverture du pays deux siècles et demi plus tard, le partage du monde était déjà fait. Le Japon n'avait plus aucun endroit où prendre pied. Au point de vue économique, la fermeture du pays avait pour qualité de restreindre la sortie de l'or, de l'argent et de la monnaie japonaise. Quant à la démographie, à cause des crises de famine, la population demeura en stagnation durant l'ère Edo. Si le pays n'avait pas été fermé il aurait pu importer des denrées alimentaires de l'extérieur afin d'enrayer la crise. Il va de soi que tout ce qui concerne le génie maritime alla en régressant. Ajoutons aussi à toutes ces assertions des historiens : le manque de capacité des Japonais d'aujourd'hui dans l'étude des langues occidentales. Ils ne peuvent, sans difficulté, écrire un livre dans une langue occidentale, a fortiori parler. La fermeture du pays en est certainement l'une des causes.

Nous pensons également que la fermeture du pays présentait plus de défauts que de qualités. La précipitation des Japonais à vouloir rattraper leur retard dû à deux siècles et demi d'isolement fut à l'origine du mouvement du Japon au cours du dernier siècle.

Ce texte provient de l'épilogue du livre : "Traité des cinq roues" aux éditions Albin Michel, que vous pouvez commander en vous rendant à la page des liens, livres et commentaires pertinents

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