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Innombrables sont véritablement les impressions que chacun de nous reçoit pendant le cours d’une année, on pourrait presque dire que nous en sommes, chaque jour, submergés. En raison des progrès inouïs qui ont été apportés aux moyens de communication et d’entente entre les hommes, les obstacles créés par la distance existent de moins en moins. A vrai dire, ces impressions sont souvent aussi vite oubliées qu’elles sont venues, tellement vite quelques fois, qu’il n’en reste pas trace du jour au lendemain. Mais il est bon qu’il en soit ainsi; car s’il en était autrement, l’homme contemporain serait opprimé jusqu’à l’asphyxie sous un tel déluge. D’ailleurs, en réaction contre ce flot perpétuellement mouvant d’images qui envahissent la mémoire, nous trouvons chez tous ceux qui ne veulent pas traverser l’existence à la manière d’un éphémère, le souci de plus en plus fort de s’appuyer sur quelque chose de stable, sur une richesse spirituelle capable de leur fournir un point d’appui solide dans le chaos des vicissitudes de la vie quotidienne. Ainsi s’explique dans la jeunesse arrivée aujourd’hui à l’âge mûr, exaspéré jusqu’en devenir une véritable soif, le désir d’une conception aussi vaste possible de l’univers. Cette soif, elle tâchera de l’étancher comme elle le pourra et par les voies les plus diverses, tant est grande sa hâte de trouver un asile de rafraîchissement et de paix pour son esprit tourmenté.

L’Église donc c’est la vocation de satisfaire les besoins de cette sorte n’est pas souvent, à notre époque en état de satisfaire des esprits envahis par le doute, parce qu’elle exige une foi soumise. Aussi arrive-t-il fréquemment que l’on ait recours aux substituts les plus suspects de l’idée religieuse et que l’on accueille à bras ouverts les prophètes nouveaux, censés apporter des messages de salut plus certains.

Il est vraiment étonnant de constater combien de gens cultivés sont entrés dans le sillage de ces religions nouvelles où ils subissent une séduction qui relève tantôt de la mystique la plus dévoyée et tantôt de la plus basse superstition.

L’idée séduisante d’essayer d’édifier une conception de l’univers sur une base scientifique est, en général, repoussée par la catégorie de personnes dont nous venons de parler sous prétexte que la conception scientifique de l’univers a fait faillite. Dans cette affirmation, il y a d’ailleurs une part de vérité; elle est même pleinement justifiée si l’on prend le mot « science », comme il est très fréquemment arrivé, dans un sens purement rationnel; mais celui qui se comporte ainsi prouve qu’il est intérieurement très éloigné de l’esprit de la véritable science. Quiconque a travaillé réellement à l’édification d’une science quelconque sait, par expérience, que pour franchir la porte, il faut un guide qui, pour être invisible, n’en est pas moins indispensable; ce guide c’est une foi intrépide.

On dit souvent que la science ne fait pas d’hypothèse. Je ne crois pas qu’il y ait un adage ayant plus de désastres à son actif, faute d’avoir été bien compris. La base solide sur laquelle repose toute la science est constitué par son matériel de faits, c’est chose certaine; mais ce qui ne l’est pas moins, c’est que ce matériel, même si on y adjoint un élaboration logique, ne suffit pas à faire la science. Le trésor des faits restera, en effet, toujours plus ou moins incomplet, il ne se composera jamais que de pièces détachées, si nombreuses qu’on veuille bien les supposer, et ceci s’applique aussi bien aux documents historiques qu’aux tables de mesures des sciences physiques et naturelles. Il est donc absolument nécessaire que les vides soient comblés et cela ne peut se faire qu’au moyen de liaisons idéologiques. Ces liaisons ne sont pas le résultat d’un travail logique, mais un produit de l’imagination créatrice du savant dont l’assentiment ne sera donc pas purement rationnel, même si le mot foi est trop fort pour le caractériser. En tout cas, nous sommes en présence d’une activité dépassant en quelque façon le donné expérimental. De même que d’un chaos de masses séparées, sans aucune force ordonnatrice, il ne peut sortir aucun cosmos, de même aussi aucune science ne peut surgir de l’accumulation d’un matériel de faits, sans l’intervention d’un esprit fécondé par la foi.

Cette manière plus profonde de concevoir la science est-elle susceptible d’engendrer une conception de l’univers d’un intérêt vital ?

Pour répondre à cette question, le mieux sera de jeter un coup d’œil sur la vie des hommes qui on fait leur cette conception et qui lui ont consacré leur existence. Il y a des savants innombrables pour qui leur science a été le soutien et le réconfort continuel d’une vie extérieurement misérable. Tel Johann Kepler, dont nous célébrions naguère le 300e anniversaire. Vue du dehors, sa vie n’a été qu’une longue suite de cruelles désillusions. Il fut toujours accablé par le souci du pain quotidien et ne pur jamais se libérer de la gêne. A la fin de sa vie nous le voyons même contraint de réclamer à la diète, siégeant à Ratisbonne, le payement du reliquat de sa pension impériale. Mais le moment le plus douloureux de cette existence fut certainement celui où il dut prendre la défense de sa propre mère accusée de sorcellerie. Ce qui l’empêcha de céder au découragement et le soutint dans ses travaux, ce fut sa science et, par là, nous n’entendons pas seulement l’accumulation de données numériques résultant de ses observations astronomiques; mais la foi à un univers régi par des lois rationnelles. Il serait très instructif de comparer Kepler sous ce rapport avec celui dont il fut le disciple, Tycho de Brahé. Ce dernier possédait, en effet, les mêmes connaissances scientifiques que son élève, il avait à sa disposition le même matériel d’observations, mais il lui manquait la croyance aux lois éternelles. C’est pourquoi Tycho de Brahé est connu seulement comme un astronome de valeur, tandis que Kepler est considéré comme étant le créateur de l’astronomie moderne.

Nous citerons encore le nom de Julius Robert Mayer, dont la découverte de l’équivalent mécanique de la calorie sera bientôt centenaire. Ce savant fut, il est vrai, moins en butte aux soucis d’ordre matériel que Kepler; mais, par contre, sa théorie de l’indestructibilité de la force fut complètement méconnue du monde savant. Vers le milieu du siècle dernier, on éprouvait la plus grande méfiance envers tout ce qui avait l’air de s’apparenter à la philosophie naturelle. Mayer ne se laissa pas intimider par la par la conjuration du silence qui était établie autour de ses travaux. Il trouvait réconfort et apaisement, non pas tant dans ce qu’il savait, que dans ce qu’il croyait. Sa persévérance fut récompensée vers la fin d’une vie remplie de luttes les plus pénibles : l’organe le plus représentatif de la science à laquelle il s’était voué, la société des naturalistes et médecins allemands dont faisait partie Hermann Helmhotz, lui apporta enfin dans sa session annuelle de 1869 le témoignage officiel de reconnaissance qui lui avait tant fait défaut.

D’après ces exemples et d’autres, très nombreux, qui leur sont analogues et que nous ne pouvons citer, nous pouvons conclure que la croyance est bien la force qui donne sa véritable efficacité à l’accumulation de faits constitutive du matériel scientifique. Mais nous pouvons aller plus loin et ajouter que déjà, dans le travail de rassemblement de ce matériel, les pressentiments intuitifs dont elle est la source sont de nature à rendre les plus grands services. Ces pressentiments sont comme un guide et un aiguillon de l’activité sensible. Pour un historien qui recherche des archives et des documents officiels ou qui étudie ceux qu’il a découverts; pour un savant qui, dans son laboratoire élabore des dispositifs expérimentaux et qui examine par le menu des observations qu’il a faites, le travail se trouvera très simplifié et, notamment, facilitée la distinction indispensable entre l’essentiel et l’accessoire, s’il est dans une certaine disposition mentale plus ou moins clairement consciente qui l’éclairera dans l’examen et l’interprétation des résultats, après qu’elle lui aura servi de guide dans la série des opérations effectuées pour les obtenir. Le cas du mathématicien est tout à fait semblable, il lui arrivera de trouver un théorème nouveau dont il donnera la formule avant d’avoir pu le démontrer.

Cependant, il ne faut pas oublier que l’exercice de cette faculté d’intuition comporte un danger latent des plus graves : le danger de solliciter les faits en faveur d’une idée préconçue ou même de passer sous silence ceux qui gêneraient. C’est là glisser de la vraie science à la pseudo-science qui n’est qu’une construction en l’air, destinée à s’écrouler au premier choc un peu fort.

Innombrables dans le passé ont été les savants, jeunes et vieux, qui ont succombé victimes de leur conviction scientifique enthousiaste et, de nos jours, le péril n’a pas perdu de son importance. Pour s’en garder il n’existe qu’un moyen de protection : le respect des faits.

Plus un penseur est riche en idées, plus son imagination est féconde, plus il lui est indispensable de se pénétrer d’une chose : c’est que les faits, considérés dans le détail de leur individualité, restent toujours l’élément fondamental sans lequel il n’y aurait pas de science. C’est pourquoi il devra s’examiner lui-même avec un soin des plus scrupuleux pour se rendre compte s’il s’accorde bien à ces mêmes faits tout le respect qui leur est dû.

Quand nous aurons senti solide sous nos pieds l’unique terrain que l’expérience de la vie réelle nous a montré être sûr, alors, mais alors seulement, nous pourrons nous fier sans arrière-pensée à une conception de l’univers fondée sur la croyance à l’existence, dans cet univers, d’un ordre rationnel.

Ce texte provient du livre : "Initiations à la Physique" aux éditions Flammarion, que vous pouvez commander en vous rendant à la page des liens, livres et commentaires pertinents

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