Au moment où une très haute personnalité comme Madame Curie est arrivée à la fin de sa vie, il ne faut pas nous contenter
seulement de rappeler ce qu’elle a donné à l’humanité par les fruits de son œuvre. Les qualités morales
de ses personnalités marquantes sont peut-être d’une plus grande signification pour une génération et pour le cours
de l’histoire que les accomplissements purement intellectuels. Même ces derniers dépendent à un plus haut degré qu’on
ne croit communément de la grandeur du caractère.
J’ai eu le bonheur d’être lié à Madame Curie pendant vingt ans d’une amitié élevée et sans nuages. Je suis
arrivé à admirer sa grandeur humaine à un degré toujours croissant. Sa force, la pureté de sa volonté, son austérité envers
elle-même, son objectivité, son jugement incorruptible – tout cela était d’un genre qu’on trouve rarement
réuni dans une seule personne. Elle sentait à chaque moment qu’elle était au service de la société, et sa profonde
modestie ne laissa pas de place pour la complaisance. Elle était oppressée par un sentiment constant de rigueurs et les injustices
de la société. C’est cela qui lui donna cet aspect extérieur sévère, si facilement mal interprété par ceux qui n’étaient
pas de ses intimes – une curieuse sévérité non adoucie par quelque effort artistique. Une fois qu’elle avait
reconnu une certaine voie comme bonne, elle la suivait sans compromis et avec une ténacité extrême.
La plus grande action scientifique de sa vie – la démonstration de ‘existence d’éléments radioactifs et
leur isolement – doit sa réalisation non pas seulement à une intuition hardie, mais aussi à un dévouement et à une ténacité
dans l’exécution dans les plus grandes difficultés imaginables, dont l’histoire de la science n’a pas souvent
été témoin.
Si seulement une petite part de la force de caractère et du dévouement de Madame Curie existait chez les intellectuels de
l’Europe, celle-ci aurait devant elle un avenir plus brillant.
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