Dans les lettres de Kepler, nous nous trouvons en présence d’une personnalité sensible et passionnément dévouée à la
recherche d’une connaissance plus profonde du caractère des processus naturels – un homme qui a atteint le but
élevé qu’il s’est lui-même fixé, malgré toutes les difficultés intérieures et extérieures. La vie de Kepler était
consacrée à la solution d’un problème double. Le soleil et les planètes changent leur position apparente, relativement
à leur arrière-plan d’étoiles fixes, d’une façon complexe accessible à l’observation immédiate. En d’autres
termes, toutes les observations et tous les documents compilés avec tant de soins ne traitaient pas réellement du mouvement
des planètes dans l’espace, mais des changements temporels subis par la direction terre-planète au cours du temps.
Un fois que Copernic avait convaincu le petit groupe capable de le comprendre que dans ce processus le soleil doit être regardé
comme étant au repos et les planètes, y compris la Terre, comme tournant autour du soleil, le premier grand problème fut alors
celui-ci : déterminer les véritables mouvements des planètes, y compris celui de la Terre, tels que pourrait les voir un observateur
placé sur l’étoile fixe la plus proche et équipé d’un parfait double télescope stéréoscopique. C’était
là le premier grand problème de Kepler. Le second problème était exprimé dans cette question : Quelles sont les lois mathématiques
auxquelles ces mouvements obéissent ? Il est évident que la solution de ce second problème, à supposer que l’esprit
humain soit capable de la trouver, était basée sur la solution du premier. Avant qu’une théorie qui explique un certain
processus puisse être mise à l’épreuve, ce processus doit d’abord être connu.
La solution du premier problème par Kepler est basée sur une notion véritablement inspirée, qui rendit possible la détermination
de la véritable orbite de la Terre. Pour construire cette orbite un second point fixe dans l’espace planétaire, en
sus du soleil, est exigé. Quand on peut se servir d’un tel second point, celui-ci et le soleil peuvent être utilisés
comme points de référence pour les mesures angulaires, et la véritable orbite de la Terre peut être déterminée par les mêmes
méthodes de triangulation qui servent ordinairement pour l’arpentage et la cartographie.
Mais où pouvait-on trouver un tel second point fixe, puisque tous les objets visibles, à l’exception du soleil, exécutent
eux-mêmes des mouvements qui ne sont pas connus dans le détail ? La réponse de Kepler était celle-ci : Les mouvements apparents
de la planète Mars sont connus avec une grande précision, y compris la période de sa révolution autour du soleil (« l’année
Martienne »). Il est probable qu’à la fin de chaque année Martienne Mars soit au même point dans l’espace (planétaire).
Si nous nous limitons pour le moment à ces points dans le temps, alors la planète Mars représente pour eux un point fixe dans
l’espace planétaire, un point dont on pourrait se servir dans la triangulation.
En employant ce principe Kepler détermina avant tout le vrai mouvement de la Terre dans l’espace planétaire. Puisqu’on
peut se servir de la Terre elle-même comme point de triangulation à n’importe quel instant, il était aussi capable de
déterminer, en s’appuyant sur ses observations, les vrais mouvements des autres planètes.
C’est de cette façon que Kepler obtint la base pour formuler les trois lois fondamentales auxquelles son nom sera associé
pour tous les temps à venir. Aujourd’hui, après l’acte accompli, personne ne peut apprécier pleinement combien
d’ingéniosité, combien de dur et patient labeur était nécessaire pour découvrir ces lois et les établir avec une telle
précision.
Le lecteur devrait le savoir en apprenant de ses lettres les difficultés au prix desquelles il a réalisé cette œuvre
gigantesque. Il refusa de se laisser paralyser ou décourager soit par la pauvreté, soit par le manque de compréhension de
ceux de ces contemporains qui avaient le pouvoir de façonner sa vie et son œuvre. Il traitait cependant un sujet qui
présentait un danger immédiat pour celui qui professait la vérité. Mais Kepler était un de ces hommes rares qui sont simplement
incapables de faire autrement que de défendre ouvertement leurs convictions dans chaque domaine. En même temps ce n’était
pas un homme qui éprouvait un vif plaisir à la controverse personnelle, comme c’était manifestement le cas de Galilée,
dont les pointes inspirées réjouissent le lecteur instruit, même de nos jours. Kepler était un protestant pieux, mais il
ne faisait pas un secret du fait qu’il n’approuvait pas toutes les décisions de l’Eglise. Il était, par
conséquent, regardé comme une espèce d’hérétique modéré et traité comme tel.
Ceci m’amène à parler des difficultés internes qu’il avait à surmonter – difficultés auxquelles j’ai
déjà fait allusion. Elles ne sont pas aussi facilement perceptibles que les difficultés extérieures. L’œuvre
de Kepler ne fut possible qu’après avoir réussi à se libérer, à un haut degré, des traditions intellectuelles dans lesquelles
il était né. Cela ne signifiait pas seulement la tradition religieuse, basée sur l’autorité de l’Eglise, mais
les concepts généraux sur la nature et les limitations d’action dans l’univers et dans la sphère humaine, ainsi
que les notions de l’importance relative de la pensée et de l’expérience dans la science.
Il devrait s’affranchir de l’abord animiste de la recherche, un mode de pensée orienté vers les fins de l’au-delà.
Il devait d’abord reconnaître que la théorie mathématique la plus lumineusement logique n’offrait en elle-même
aucune garantie de vérité et peut n’avoir aucun sens, si elle n’est pas vérifiée par les observations les plus
exigeantes dans la science de la nature. Sans cette orientation philosophique l’œuvre de Kepler n’aurait
pas été possible. Il n’en parle pas, mais la lutte intérieure se reflète dans ses lettres. Que le lecteur fasse attention
aux remarques concernant l’astrologie. Elles montrent que l’ennemi intérieur vaincu a été rendu inoffensif, bien
qu’il n’ait pas été tout à fait mort.
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